Déjà dans le commerce : les papillons de nuit sourds utilisent un système de réduction du bruit pour éviter les chauves-souris affamées
Alors que de nombreux insectes, qui sinon deviendraient la nourriture des chauves-souris, utilisent les sons produits par celles-ci pour esquiver leurs avances, les espèces de papillons de nuit sourds n’ont pas ce luxe. Il s’avère que ces créatures ont un autre atout en réserve : les chercheurs ont découvert des écailles spéciales sur leur corps qui ont évolué pour absorber les sons et servir de camouflage acoustique afin d’éloigner les chauves-souris affamées.
Image d’entête : le papillon de nuit (sourd) Antherina suraka, trouvé à Madagascar et à Mayotte, est l’une des espèces étudiées ici. (Resenter89/ Flickr)
Les chauves-souris se concentrent sur leur proie en émettant des ondes sonores et en analysant les échos qui leur sont renvoyés (écholocation). Elles utilisent ce type de sonar biologique pour suivre leur repas et s’orienter. De nombreux insectes ont développé une oreille pour ces sons, les reconnaissant comme une incitation à chercher un abri, mais les papillons de nuit sourds sont évidemment inconscients de ces signes d’avertissement. Cela a conduit les chercheurs de l’université de Bristol (Royaume-Uni) à se demander quelles méthodes évasives ils pourraient utiliser à la place.
L’équipe a utilisé une technique d’imagerie appelée microscopie électronique à balayage pour observer en détail les écailles du thorax sur le corps de quatre espèces de papillons de nuit sourds. Ce faisant, ils ont remarqué qu’elles ressemblaient beaucoup aux structures des fibres utilisées dans les matériaux d’isolation acoustique, ce qui indique qu’une sorte de subterfuge pour réduire le bruit pourrait être utilisé.
Dans cette image composite d’un papillon de nuit et d’un papillon, les côtés colorés montrent l’espèce cible tandis que l’échelle de gris est l’image tomographique résultante. Cela permet aux chercheurs de mesurer la quantité de son réfléchie par certaines parties du corps. (Thomas R Neil et Marc W Holderied)
Une espèce de papillon de nuit particulièrement duveteux (Periphoba arcaei) présentant des écailles thoraciques très allongées qui agissent comme une sorte de camouflage acoustique contre les chauves-souris. (Thomas R Neil)
Grâce à des expériences de suivi, l’équipe a découvert que ces écailles peuvent absorber jusqu’à 85 % de l’énergie sonore entrante. Appliqué au règne animal, cela rendrait beaucoup plus difficile pour une chauve-souris de trouver ces types de papillons de nuit, l’équipe ayant calculé que les écailles réduisent de près de 25 % la distance à laquelle une chauve-souris pourrait les détecter.
Image tirée de l’étude : (a) Modèle tridimensionnel de micro-tomographie en fausses couleurs du thorax du papillon de nuit Antherina suraka coupé en deux le long du plan axial. (b) Porosité totale en fonction de la profondeur de l’échelle thoracique analysée.Encadré : modèle tridimensionnel d’une section d’un poil individuel. Echelle de 5 µm. (Thomas R. Neil et Coll./ Royal Society Interface)
Ce type de « camouflage acoustique », comme l’appellent les chercheurs, pourrait servir de modèle pour les systèmes d’isolation phonique fabriqués par l’homme.
Selon le Dr Thomas Neil, auteur principal de l’étude :
Nous avons été étonnés de voir que ces insectes extraordinaires étaient capables d’atteindre les mêmes niveaux d’absorption acoustique que les dispositifs techniques d’insonorisation disponibles dans le commerce, tout en étant beaucoup plus fins et plus légers. Nous cherchons maintenant des moyens d’utiliser ces systèmes biologiques pour inspirer de nouvelles solutions à une technologie d’isolation acoustique et d’analyser l’écaillage des ailes d’un papillon de nuit pour savoir s’ils ont eux aussi des propriétés d’absorption acoustique.
L’étude publiée dans Royal Society Interface : Thoracic scales of moths as a stealth coating against bat biosonar et présentée sur le site de l’université de Bristol : Deaf moths evolved noise-cancelling scales to evade predators.