De rares mutations génétiques sont curieusement liées au fait d’être gaucher
Depuis des générations, les gauchers fascinent et effraient à la fois. Outre la deuxième signification du mot gauche (malhabile…), le mot latin pour « gauche » est littéralement sinistre, ce qui donne la sinistralité ou encore gaucherie (les Italiens appellent encore la main gauche sinistra), et cette main fut historiquement associée à la sorcellerie et au culte du diable. Cependant, même à l’époque moderne, les gauchers sont toujours confrontés à des difficultés dans la société, qu’il s’agisse de l’obligation de passer à la main droite à l’école ou de l’obligation d’utiliser des produits conçus pour être utilisés avec leur main non dominante.
Pourquoi un petit groupe de la population préfère-t-il utiliser sa main gauche pour les tâches manuelles ? D’ailleurs, pourquoi n’utilisons-nous pas tout aussi bien l’une ou l’autre main ? Il n’est toujours pas facile de répondre à ces questions. Mais si l’on en croit les plus récentes recherches, c’est dans les gènes qu’il faut chercher. Les jumeaux identiques, par exemple, sont beaucoup plus susceptibles de partager une préférence pour une main que les faux jumeaux.
Lorsque la double hélice de l’ADN a été décodée il y a plusieurs décennies, de nombreux chercheurs ont espéré trouver des signes génétiques susceptibles d’expliquer la préférence pour une main. Comme la plupart des humains sont droitiers, un gène quelque part doit être responsable, et une mutation conduirait à la gaucherie. C’est ce que l’on pensait à l’origine.
Il n’existe pas de gène unique codant pour la gaucherie. Une analyse réalisée en 2019 à partir de vastes données provenant de la UK Biobank, de l’International Handedness Consortium et de 23andMe a permis de découvrir 41 zones de l’ADN liées à la gaucherie. Il s’avère que le fait d’être gaucher, tout comme l’asthme et la taille, est un trait polygénique : de nombreux gènes sont impliqués et chacun d’entre eux apporte une contribution minime.
Ainsi, une nouvelle étude vient d’apporter sa contribution à notre connaissance de la nature héréditaire de la gaucherie chez les humains. Les chercheurs de l’Institut Max Planck de psycholinguistique, aux Pays-Bas, ont découvert des variants génétiques rares modifiant les protéines qui pourraient être associées à cette caractéristique. Il s’agissait vraiment d’une recherche motivée par la curiosité sur un mystère de la biologie humaine : quelle est la base génétique de l’axe gauche-droite du cerveau ? Nous savons que les deux hémisphères cérébraux commencent déjà à se développer différemment dans l’embryon humain, mais le mécanisme n’est pas connu. Trouver des gènes liés aux asymétries du cerveau ou du comportement, comme la main, peut donner quelques indices. Il y a également un lien possible avec la psychiatrie. La gaucherie est plus fréquente dans l’autisme et la schizophrénie que dans la population générale, de sorte que l’altération de l’asymétrie du cerveau résultant de variants génétiques pourrait distinguer un sous-ensemble de personnes affectées. Il est évident que la plupart des gauchers ne souffrent pas d’autisme ou de schizophrénie.
Les chercheurs se sont tournés vers le même ensemble de données de la UK Biobank mentionné plus haut, qui comprend des données génétiques sur plus de 350 000 personnes. Leur objectif était d’étudier l’influence de variants génétiques très rares sur le fait d’être gaucher. Environ 10 % de la population est gauchère, c’est-à-dire qu’elle utilise sa main gauche pour écrire. Les humains ne sont pas toujours purement gauchers ou droitiers. Il arrive que des personnes effectuent la plupart des tâches manuelles avec leur main dominante, mais utilisent leur main opposée pour d’autres tâches.
La dominance de la main est une manifestation de l’asymétrie du cerveau (hémisphères droite et gauche du cerveau), la gaucherie résultant du contrôle dominant de l’hémisphère droit du cerveau. Ce trait se développe tôt dans la vie, au cours du développement embryonnaire, explique Franks. Les chercheurs ont constaté que l’héritabilité de la gaucherie due à des variants codantes rares dans l’exome (les séquences d’ADN qui codent pour les protéines) est très faible, à peine 1 %. Il est intéressant de noter qu’un gène appelé TUBB4B est 2,7 fois plus susceptible de contenir des variants codantes rares chez les gauchers. Ce gène est le modèle d’une protéine de microtubules qui constitue le cytosquelette, l’échafaudage qui donne leur forme aux cellules. Cela suggère que les microtubules sont impliqués dans la mise en place des asymétries du cerveau, comme la dominance du langage dans l’hémisphère gauche, mais aussi le contrôle des mains.
Selon Francks :
Je n’ai pas été surpris, car nous soupçonnions déjà, d’après d’autres travaux, que l’asymétrie cérébrale varie principalement en raison du hasard dans les premiers stades de l’embryon. Pour notre objectif, la faible héritabilité n’était pas un problème. Des variants génétiques rares chez une poignée de personnes peuvent mettre en évidence des gènes qui donnent des indices sur les mécanismes de développement de l’asymétrie cérébrale chez tout le monde. TUBB4B pourrait en être un bon exemple. Dans le cerveau embryonnaire, les microtubules pourraient contribuer à créer l’axe gauche-droite en donnant à certaines cellules une torsion asymétrique à un certain stade. Par ailleurs, les microtubules des cils pourraient être à l’origine de mouvements asymétriques et de l’écoulement des fluides. Les cils sont des projections de la surface cellulaire soutenues par des microtubules.
Les chercheurs ont également constaté que les personnes présentant des variations de DSCAM et de FOXP1, deux gènes associés à l’autisme, sont plus susceptibles d’être gauchères. Cela pourrait expliquer pourquoi les personnes autistes sont entre 2 et 3,5 fois plus susceptibles d’être gauchères.
À l’avenir, les chercheurs souhaitent explorer ces résultats plus en détail, en se concentrant sur le développement de l’asymétrie cérébrale de manière plus générale.
L’étude publiée dans Nature Communications : Exome-wide analysis implicates rare protein-altering variants in human handedness.
« Il est évident que la plupart des gauchers ne souffrent pas d’autisme ou de schizophrénie. »
« deux gènes associés à l’autisme, sont plus susceptibles d’être gauchères. Cela pourrait expliquer pourquoi les personnes autistes sont entre 2 et 3,5 fois plus susceptibles d’être gauchères. »
Bonjour,
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