il y a 60 000 ans, les Néandertaliens ont entrepris un périple épique de l’Europe à la Sibérie
Des lames de pierre, trouvées dans une grotte sibérienne autrefois occupée par les Néandertaliens, présentent une ressemblance frappante avec les outils fabriqués par l’ancienne espèce humaine en Europe de l’Est, à plus de 3000 kilomètres à l’ouest.
Image d’entête : reconstitution d’un Néandertalien. (Neanderthal Museum)
Cette découverte donne du poids à l’idée que les Néandertaliens ont fait le voyage intercontinental vers cette région lointaine non pas une, mais deux fois.
La grotte de Chagyrskaya, au pied des montagnes de l’Altaï, est une capsule de vie paléolithique riche en fossiles et en artefacts, qui semble uniquement occupée par des Néandertaliens.
A partir de l’étude, emplacement géographique et entrée de la grotte de Chagyrskaya. (Kseniya A. Kolobova et Coll./ PNAS)
Elle se distingue ainsi de la plus célèbre grotte de Denisova, située dans une vallée voisine à seulement 100 kilomètres plus à l’est, qui fut occupée à différentes époques pendant environ 250 000 ans par les Néandertaliens, des humains anatomiquement modernes, et les Dénisoviens, un groupe d’humains archaïques qui porte le nom de la grotte.
L’archéologue Kseniya Kolobova, de l’Institut d’archéologie et d’ethnographie de Novossibirsk, en Russie, et ses collègues ont mis au jour 74 os de Néandertal, la plus grande quantité de toutes les grottes de la région, dans un seul paquet de sédiments de la grotte de Chagyrskaya.
Parmi les quelque 250 000 fossiles d’animaux et restes de plantes, il y avait environ 90 000 artefacts, dont des outils en pierre et en os.
L’équipe a analysé plus de 3 000 lames de pierre et elle a constaté qu’elles ressemblaient à des outils en pierre écaillée connus sous le nom de lames micoquiennes.
A partir de l’étude : lames de pierre de la grotte de Chagyrskaya : (A-C) photographies, dessins au trait et profils transversaux de trois outils permettant de diagnostiquer les types micoquiens. (Kseniya A. Kolobova et Coll./ PNAS)
Selon le chercheur en origines humaines Richard Bert Roberts, de l’université de Wollongong en Australie, qui a codirigé l’étude :
C’est l’un de ces artefacts classiques de type néandertalien.
Mais, dit-il, les lames micoquiennes ne se trouvent généralement pas en Sibérie. Aucune n’a été trouvée dans la grotte de Denisova, par exemple. L’Europe centrale et orientale est vraiment le cœur de cette tradition micoquienne.
Cela suggère que les Néandertaliens qui ont migré vers l’est en Sibérie pour occuper la grotte de Chagyrskaya pourraient provenir de cette région d’Europe, à plus de 3 000 kilomètres à l’ouest.
Le fait que la grotte de Denisova ne dispose pas de ces outils distinctifs suggère également que les Néandertaliens sont arrivés en Sibérie en deux vagues au moins.
Selon Roberts :
Dans ce cas-ci, nous avons eu de la chance, car l’archéologie raconte une histoire. Souvent, les artefacts ne sont pas assez révélateurs. Ils se ressemblent trop pour qu’on puisse les distinguer.
Des généticiens ont déjà suggéré que les Néandertaliens ont migré deux fois en Sibérie, car les derniers occupants de la grotte de Denisova sont plus proches de leurs parents européens que les premiers occupants de la même grotte.
Les preuves archéologiques de l’étude actuelle correspondent à cette histoire.
Début et fin de la dispersion des Néandertaliens dans le sud de la Sibérie. (Kseniya Kolobova/ Maciej Krajcarz/ Victor Chabai)
Les Néandertaliens de Chagyrskaya appartenaient probablement à une migration ultérieure, bien que les chercheurs n’aient pas encore établi de date précise. Les dépôts de feldspath dans la couche fossilifère de la grotte de Chagyrskaya datent d’il y a 59 000 à 49 000 ans. Mais un génome reconstitué à partir d’ADN extrait d’un os du doigt sur le site est estimé à plus de 80 000 ans.
Une explication pourrait être que l’os de Néandertal ait été en quelque sorte retravaillé dans la couche à partir d’un dépôt plus ancien, bien qu’ils n’aient pas encore trouvé de sédiment du bon âge.
Une autre possibilité est que l’estimation de l’âge génétique soit fausse en raison d’une différence de taux de mutation ou de temps de génération chez les Néandertaliens par rapport aux humains. Le séquençage de génomes supplémentaires provenant d’autres individus de la grotte pourrait résoudre l’énigme, selon Roberts.
Une analyse préliminaire du génome de Chagyrskaya montre qu’il est plus étroitement lié aux Néandertaliens d’Europe de l’Est qu’à un hybride Néandertalien-Dénisovien de la grotte de Denisova, ce qui indique à nouveau qu’au moins deux groupes distincts ont atteint la Sibérie.
Les outils fournissent également des indices sur les raisons pour lesquelles les Néandertaliens ont fait ce voyage épique.
Ils utilisaient des lames micoquiennes pour trancher la viande et gratter les peaux des animaux qu’ils chassaient. Les Néandertaliens de Chagyrskaya pourraient avoir suivi des troupeaux de bisons ou de chevaux en migration à travers l’Asie centrale vers les vastes plaines de Sibérie.
L’histoire est loin d’être complète. Roberts souhaite savoir si d’autres sites, peut-être le long de la route qui traverse l’Asie centrale, possèdent également des lames micoquiennes.
Sachant qu’ils avaient la capacité de se rendre en Sibérie, Roberts pense qu’ils auraient pu aussi faire un voyage plus lointain, peut-être jusqu’en Chine et il ajoute :
C’est une indication supplémentaire que les Néandertaliens étaient tout aussi créatifs, tout aussi laborieux, tout aussi explorateurs dans leur nature que l’étaient les humains modernes.
L’étude publiée dans The Proceedings of the National Academy of Sciences : Archaeological evidence for two separate dispersals of Neanderthals into southern Siberia et présentée sur le site de l’université de Wollongong : Siberian Neanderthals were intrepid nomads.