Des coquilles d’œufs fossiles suggèrent que tous les dinosaures auraient eu le sang chaud
Les dinosaures avaient-ils le sang chaud ? La question de l’endothermie a longtemps été un sujet brûlant… en paléontologie. Nul doute qu’une nouvelle étude, utilisant une méthode récemment mise au point, alimentera le débat.
Image d’entête : modèle de nid de Maiasaura, un dinosaure à bec de canard, le premier à être évalué dans cette étude, au musée d’histoire naturelle de Londres.
Contrairement aux ectothermes à sang froid (poïkilothermes), les endothermes ont la capacité de réguler leur température corporelle de façon interne. Ils génèrent, conservent et diffusent de la chaleur en fonction de leur environnement, ce qui les rend généralement plus adaptables à différents climats et niches écologiques.
La plupart des animaux, y compris les reptiles, sont des ectothermes. Les mammifères, les oiseaux et une poignée de poissons sont soit des endothermes, soit ont développé un certain degré d’endothermie. Comme les oiseaux à sang chaud ont évolué à partir des dinosaures, et les dinosaures à partir des reptiles à sang froid, les chercheurs ont longtemps cherché des indices pour savoir où, dans l’histoire entre reptiles et oiseaux, les choses se sont réchauffées…
Image tirée de l’étude : dans l’évolution des archosaures, les alligators et autres crocodiliens sont restés ectothermes, c’est-à-dire à sang froid. Les oiseaux se sont adaptés pour être endothermiques, ou à sang chaud. Pour savoir dans quel camp les dinosaures étaient passés, les chercheurs ont prélevé des échantillons de trois espèces représentant les trois grands groupes de dinosaures. (Dawson et Coll./ Science Advances)
Au fil des années, les chercheurs ont élaboré un certain nombre de théories sur les dinosaures à sang chaud, mais elles se fondent presque entièrement sur l’observation d’animaux vivants et l’extrapolation. La comparaison de la structure osseuse de certains dinosaures avec celle des oiseaux modernes, par exemple, a suggéré qu’au moins certains des animaux éteints pourraient avoir développé des capacités endothermiques.
Ce genre de comparaison peut cependant être problématique, car elle repose sur l’hypothèse que les dinosaures vivaient, respiraient et se développaient de la même manière que les animaux modernes.
Plus récemment, les chercheurs ont recherché l’endothermie chez les dinosaures à l’aide d’une méthode appelée paléothermométrie par amas d’isotopes carbonatés. La paléothermométrie en elle-même n’est pas nouvelle, elle existe depuis des décennies comme moyen de modéliser les anciennes températures des océans, les climats et d’autres modèles environnementaux à l’aide d’approximations. Par exemple, la paléothermométrie est un moyen de modéliser les températures océaniques, les climats et d’autres anciens modèles environnementaux à l’aide de données indirectes : La densité des cellules qui forment l’anneau de croissance annuel d’un arbre (cernes) varie en fonction de la température et de l’humidité ambiantes de l’environnement de l’arbre. Les chercheurs ont utilisé ces changements subtils pour reconstituer d’anciens modèles climatiques.
La paléothermométrie par amas d’isotopes carbonatés permet de mettre à jour… les carbonates. Les êtres vivants sont l’une des nombreuses sources de ces composés chimiques, et l’émail des dents et les coquilles d’œuf en particulier en sont pleines. La composition et la structure exactes du carbonate varient en fonction de la température au moment de sa formation. En analysant cette variation, les chercheurs sont en mesure de déterminer quelle était la température corporelle de l’animal. Cette méthode de paléothermométrie était auparavant utilisée pour estimer la température corporelle d’espèces appartenant à deux des principaux groupes de dinosaures : les sauropodes, des mangeurs de plantes souvent énormes, à quatre pattes et à long cou, et les théropodes, des dinosaures bipèdes, généralement carnivores, comprenant la lignée qui a finalement donné naissance aux oiseaux.
Ces précédentes études suggéraient que les animaux avaient une température corporelle d’environ 32-38 °C, ce qui les plaçait dans la gamme des endothermes modernes.
Les spécimens de dinosaures utilisés soulevaient toutefois quelques questions, car ils avaient été prélevés sur des sites qui, au Mésozoïque, se trouvaient à des latitudes basses ou moyennes. Les températures saisonnières dans ces endroits peuvent avoir atteint les 100 degrés ou plus, ce qui peut fausser les données paléothermométriques. Par exemple, une étude distincte utilisant cette méthode a permis d’échantillonner des coquilles d’œufs d’animaux à sang froid, de dragons barbus (lézard pogona) et de tortues, vivant au zoo de Los Angeles. Les échantillons se situaient dans la gamme des endothermes vivants en raison de l’environnement chaud.
Pour éviter ce problème, la plupart des échantillons de la nouvelle étude provenaient de coquilles d’œufs de dinosaures trouvés dans l’Alberta, au Canada, qui auraient profitées de températures ambiantes plus fraîches. Par conséquent, toute analyse paléothermométrique plus élevée serait un indicateur fort d’endothermie.
Fossile de coquille d’œuf de dinosaure en coupe transversale sous un microscope utilisant une lumière à polarisation croisée. Remarquez les amas de cristaux de calcite biominéralisée qui rayonnent à partir des nœuds centraux, le long de la marge intérieure de la coquille, en bas de l’image. Ceci, ainsi que la surface bosselée de la marge extérieure (haut de l’image), est généralement révélateur de la présence de dinosaures titanosaure ou sauropodes. (Robin Dawson)
L’une des espèces échantillonnées, de Maiasaura peeblesorum, est le premier dinosaure (à bec de canard) ornithischien à être testé par cette méthode. Les ornithischiens ont été la première grande lignée de dinosaures à se diviser sur leur propre branche, ce qui en fait, de tous les dinosaures, les parents les plus éloignés des oiseaux modernes.
Vue d’artiste du Maiasaura (Nobu Tamura/ Wikimédia)
L’inclusion d’un ornithischien dans l’étude est importante en raison de sa distance évolutive par rapport aux oiseaux, mais aussi parce que cela signifie que les trois grands groupes de dinosaures ont maintenant été analysés à l’aide de cette méthode de paléothermométrie.
Une autre espèce de l’étude, le théropode Troodon Formoses, est plus étroitement liée à la lignée qui a évolué vers les oiseaux. Le troisième échantillon provient de coquilles d’œufs collectées en Roumanie et provisoirement attribuées à un sauropode, le Magyarosaurus.
Squelette reconstitué d’espèces de troodontes non nommées de la formation de Prince Creek. (Wikimédia)
Les chercheurs ont également testé des coquilles d’œufs d’oiseaux modernes, notamment d’émeus, de poulets, de colibris, de moineaux et de troglodytes. Ils ont inclus dans leur analyse des informations sur la température corporelle des alligators, des mollusques et d’autres ectothermes recueillies précédemment.
Selon les résultats de l’étude, tous les matériaux de dinosaures testés se situaient dans la gamme des endothermes modernes. L’échantillon de Maiasaura en particulier, selon les chercheurs, a été évalué dans la gamme des oiseaux modernes à environ 44°C. La découverte de preuves de sang chaud dans tous les grands groupes de dinosaures suggère que l’endothermie était un trait ancestral qui a évolué plus tôt dans la lignée des archosaures.
Mais attendez, il y a un rebondissement : les recherches ont révélé quelque chose d’intéressant sur le Troodon. Un échantillon a été testé à environ 38°C. Cependant, les deux autres échantillons, provenant de deux sites différents, avaient des températures corporelles significativement plus fraîches, de l’ordre de 27-28 °C. Les températures inférieures du Troodon correspondaient à celles des mollusques fossiles provenant des mêmes dépôts, parce que les mollusques sont des ectothermes et ne peuvent pas réguler eux-mêmes leur chaleur, la température à laquelle leur coquille s’est formée est considérée comme une approximation de la température ambiante de l’environnement.
L’analyse des chercheurs suggère que les échantillons (plus frais) de Troodon pourraient être la preuve d’une hétérothermies (entre poïkilothermie (sang froid) et homéothermie) chez les dinosaures.
Les animaux hétérothermes ont développé la capacité de stopper leur endothermie et de devenir plus “ectothermiques” pour conserver l’énergie. L’hétérothermie apparaît généralement chez les petits oiseaux et les mammifères qui ont des périodes de forte activité et de dépense énergétique extrême. Pour récupérer leurs pertes, pour ainsi dire, ils peuvent faire baisser leur température corporelle et devenir inactifs pendant de courtes périodes quotidiennes de torpeur, ou pendant des périodes d’hibernation plus longues.
Les Troodons peuvent, selon les auteurs, être un indice qu’au moins certains dinosaures étaient hétérothermes.
L’étude publiée dans Science Advances : Eggshell geochemistry reveals ancestral metabolic thermoregulation in Dinosauria et présentée sur le site de l’université Yale : Were dinosaurs warm blooded? Their eggshells say yes.