Les premières observations d’un "tiraillement quantique" permettent de mieux appréhender l’étrange comportement de l’eau
Elle constitue plus de la moitié du corps humain et couvre environ 70 % de la surface de la Terre, mais il y a encore beaucoup de choses que nous ne savons pas sur l’eau. En utilisant des outils de pointe pour étudier des jets microscopiques de liquide, des scientifiques ont repéré des molécules d’eau qui se poussent et se tirent les unes les autres dans ce qui est décrit comme une « traction/ tiraillement quantique » (quantum tug), un phénomène qui n’a jamais été directement observé auparavant et qui pourrait contribuer à expliquer quelques-uns des étranges comportements de l’eau.
Image d’entête : sur la partie gauche, le matériel utilisé au SLAC pour révéler les subtils mouvements moléculaires de l’eau. A droite, représentations des liaisons hydrogène “excitées” par un faisceau d’électrons (laser). (Greg Stewart/ SLAC National Accelerator Laboratory)
Cette recherche révolutionnaire a été menée par des scientifiques de l’université de Stanford au Royaume-Uni et de l’université de Stockholm en Suède, qui ont entrepris d’explorer les forces qui maintiennent les molécules d’eau ensemble. Chacune contient un atome d’oxygène et deux atomes d’hydrogène. Les atomes d’hydrogène chargés positivement dans une molécule sont attirés par les atomes d’oxygène chargés négativement dans une autre, ce qui a pour effet de lier les molécules entre elles.
Liaison hydrogène entre des molécules d’eau. (Qwerter/ Wikipédia)
L’eau possède une série de propriétés étranges qui la distinguent de nombreux autres liquides et qui défient de nombreuses règles relatives à l’action des liquides. Une plaquette de beurre solide ne flotterait pas au-dessus d’un bain de beurre fondu, mais si vous déposez quelques glaçons dans un verre d’eau, c’est exactement ce que fera cette eau solide. L’eau offre également une tension superficielle incroyablement élevée qui permet aux insectes de marcher sur sa surface, et elle a une bonne capacité à stocker la chaleur et à aider à maintenir la stabilité de la température des océans.
Les scientifiques pensent qu’une meilleure connaissance des liaisons hydrogène entre les molécules pourrait aider à expliquer ce genre de propriétés étranges, et les auteurs de la nouvelle étude ont fait un pas important vers cet objectif.
Selon le responsable de l’étude, Jie Yang :
Depuis longtemps, les chercheurs essaient de comprendre le réseau de liaisons hydrogène en utilisant des techniques de spectroscopie. La beauté de cette expérience est que, pour la première fois, nous avons pu observer directement comment ces molécules se déplacent.
La raison pour laquelle ce phénomène a été si difficile à observer est que les mouvements des liaisons hydrogène sont très rapides et très subtils. Mais en déployant une « caméra électronique » à haute vitesse, la MeV-UED du Laboratoire national de l’accélérateur SLAC (États-Unis), qui projette de courtes impulsions d’électrons à haute énergie (laser) sur des échantillons pour en observer l’intérieur, révélant ainsi des mouvements moléculaires très subtils, les scientifiques ont pu saisir les liaisons hydrogène sur le vif.
Les expériences ont porté sur des jets d’eau très fins de 100 nanomètres d’épaisseur, soit environ 1 000 fois plus fins qu’un cheveu humain, qui ont été soumis à une lumière infrarouge qui a fait vibrer les molécules d’eau. La caméra électronique a ensuite été utilisée pour générer des clichés à haute résolution des atomes en mouvement au sein des molécules d’eau, permettant ainsi d’expliquer leur interaction.
Lorsque les molécules d’eau excitées ont commencé à vibrer, les atomes d’hydrogène ont commencé à exercer une traction sur les atomes d’oxygène des molécules voisines, les rapprochant puis les repoussant avec encore plus de force. Décrite comme une « traction quantique », cette action a fini par élargir l’espace entre les molécules.
Une animation qui illustre la réaction d’une molécule d’eau après avoir été frappée par de courtes impulsions d’électrons à haute énergie. Lorsque la molécule d’eau excitée commence à vibrer, ses atomes d’hydrogène (en blanc) rapprochent les atomes d’oxygène (en rouge) des molécules d’eau voisines, avant de les repousser, élargissant ainsi l’espace entre les molécules. (Greg Stewart/ SLAC National Accelerator Laboratory)
Selon Anders Nilsson, collaborateur de l’étude :
Bien que l’on ait supposé que cet effet quantique nucléaire était au cœur de nombreuses propriétés étranges de l’eau, cette expérience représente sa première observation directe. La question est de savoir si cet effet quantique pourrait être le chaînon manquant des modèles théoriques décrivant les propriétés anormales de l’eau.
Les scientifiques espèrent continuer à utiliser cette méthode afin de mieux connaitre les propriétés inhabituelles de l’eau. Cela pourrait permettre de mieux comprendre non seulement l’eau elle-même, mais aussi le rôle qu’elle joue dans les organismes vivants.
Selon Xijie Wang, coauteur de l’étude :
Cela a vraiment ouvert une nouvelle fenêtre pour étudier l’eau. Maintenant que nous pouvons enfin voir les liaisons hydrogène en mouvement, nous aimerions relier ces mouvements à une perspective plus large, susceptible de faire la lumière sur la façon dont l’eau a conduit à l’origine et à la survie de la vie sur Terre et d’éclairer le développement de méthodes d’énergie renouvelable.
L’étude publiée dans Nature : Direct observation of ultrafast hydrogen bond strengthening in liquid water et présentée sur le site de l’Université Stanford : In a first, scientists capture a ‘quantum tug’ between neighboring water molecules.