Diviser l’indivisible : des physiciens affirment qu’un photon peut être scindé en deux
Techniquement, les électrons et les photons sont tous deux considérés comme des particules fondamentales, en ce sens qu’ils ne peuvent pas être décomposés en parties plus petites, comme on diviserait un proton en quarks et gluons. Mais certains physiciens pensent que, dans des conditions très particulières, les électrons peuvent être divisés en deux, une idée proposée pour la première fois il y a près d’un siècle par le physicien italien Ettore Majorana. Aujourd’hui, des chercheurs du Dartmouth College et de l’Institut polytechnique de l’Université de l’État de New York (SUNY Polytechnic Institute/ États-Unis) ont conçu un cadre théorique qui permet de diviser en deux les éléments constitutifs de la lumière, les photons.
Selon Lorenza Viola, professeur de physique au Dartmouth College et chercheur principal de l’étude (lien plus bas) :
Il s’agit d’un changement de paradigme majeur dans notre compréhension de la lumière, d’une manière que l’on ne croyait pas possible. Non seulement nous avons trouvé une nouvelle entité physique, mais c’est une entité dont personne ne croyait à l’existence.
Les physiciens précisent qu’ils ne veulent pas dire qu’un photon peut être physiquement séparé. Au contraire, les moitiés de photons sont toujours ensemble, mais sont suffisamment distinctes pour pouvoir être décrites individuellement et agir comme des unités séparées.
Selon Vincent Flynn, candidat du Dartmouth College et premier auteur de cette étude :
Chaque photon peut être considéré comme la somme de deux moitiés distinctes. Nous avons pu identifier les conditions permettant d’isoler ces moitiés l’une de l’autre.
Pour mieux comprendre ce nouveau cadre théorique, le professeur Viola utilise les phases de l’eau comme analogie. L’eau liquide se comporte très différemment de la glace ou de la vapeur, mais toutes les formes de matière sont essentiellement de l’eau au final. Tout comme l’eau peut passer d’une phase à l’autre, la lumière peut exister dans différentes phases et, dans l’une de ces phases, les photons apparaissent comme deux moitiés distinctes.
Selon Viola :
L’eau est de l’eau, quelle que soit sa forme liquide ou solide. Elle se comporte simplement différemment en fonction des conditions physiques. C’est ainsi que nous devons aborder notre compréhension de la matière semblable à la lumière, elle peut exister dans différentes phases.
Toutes les particules subatomiques peuvent être divisées en deux grandes familles : les fermions et les bosons. Les fermions, comme les électrons, les protons et les neutrons, constituent toute la matière ordinaire, tandis que les bosons, comme les photons et les bosons, créent les forces qui collent toute cette matière.
En 1937, les physiciens ont prédit l’existence de particules neutres, semblables aux électrons, appelées fermions de Majorana, essentiellement des « moitiés » d’électrons. En 2001, des chercheurs ont présenté un processus par lequel les électrons pouvaient effectivement être divisés en deux dans certains supraconducteurs. Ces quasi-particules présentent un intérêt particulier pour les scientifiques travaillant sur les ordinateurs quantiques, car elles peuvent être utilisées comme qubits.
Cependant, jusqu’à présent, le photon a toujours été considéré comme totalement indivisible.
Selon Emilio Cobanera, professeur adjoint de physique au SUNY Polytechnic Institute, et coauteur de l’étude :
Les fermions et les bosons sont aussi différents que deux choses peuvent l’être en physique. En fait, ces particules sont des images déformées l’une de l’autre. L’existence des fermions de Majorana était notre principal indice que le boson de Majorana se cachait quelque part dans la maison aux miroirs.
L’idée que les photons puissent exister sous deux formes divisées distinctes repousse les limites de la physique et est, sans aucun doute, intrigante. Toutefois, elle devra être confirmée par des expériences. Selon les auteurs de la nouvelle étude, une expérience conçue pour détecter les moitiés de photons est accessible à l’aide de technologies existantes et ne nécessiterait pas une installation plus grande qu’un plateau de table, contrairement aux accélérateurs de particules massifs du CERN nécessaires à la détection de l’insaisissable boson de Higgs.
Les résultats pourraient avoir d’importantes implications dans les domaines des capteurs optiques et des processeurs de l’informatique quantique, et pourraient ouvrir la voie à la découverte de phases nouvelles et étranges de la lumière et de la matière.
Selon Viola :
Pour faire cette découverte, nous avons dû remettre en question de vieilles croyances et sortir des sentiers battus. Nous avons scindé quelque chose que l’on croyait jusqu’alors impossible à scinder, et nous ne regarderons plus jamais la lumière de la même façon.
L’étude publiée dans Physical Review Letters : Topology by Dissipation: Majorana Bosons in Metastable Quadratic Markovian Dynamics et présentée sur le site du Dartmouth College : ‘Split’ Photon Provides New Way to See Light.