Des scientifiques affirment avoir intriqué un tardigrade dans un état quantique
Une équipe de chercheurs d’Europe et d’Asie affirme avoir réalisé une intrication quantique de tardigrades congelés, des animaux microscopiques extrêmement résistants.
Les tardigrades sont bien connus pour être capables de survivre à des conditions extrêmes en entrant dans un état connu sous le nom de cryptobiose. Celle-ci est induite lorsque l’animal est gelé ou desséché et que la créature entre dans un état de faible activité métabolique appelé tun. Lorsque la température augmente et que l’eau redevient disponible, le tardigrade reprend vie, généralement en quelques minutes seulement.
Pour réaliser leur expérience d’intrication, les chercheurs ont refroidi leur tardigrade à moins de 10 millikelvins, soit presque le zéro absolu, tout en réduisant la pression à un millionième de celle de l’atmosphère. Dans ces conditions, aucune réaction chimique ne peut se produire. Le métabolisme du tardigrade a donc dû s’arrêter complètement et les processus de la vie se sont arrêtés.
Dans cet état, le tardigrade peut être considéré comme un élément purement diélectrique. En effet, les chercheurs ont simulé leur expérience en traitant le tardigrade comme un cube diélectrique.
Selon leur nouvelle étude en prépublication (lien plus bas) et déjà controversée, les chercheurs ont réussi cet exploit en plaçant les tardigrades congelés entre deux plaques de condensateur d’un circuit supraconducteur pour former un qubit, l’équivalent quantique d’un bit.
Au contact, disent-ils, le tardigrade a modifié la fréquence du qubit.
Ils ont ensuite placé ce circuit à proximité d’un second circuit supraconducteur. L’équipe a observé que la fréquence des deux qubits et du tardigrade changeait en même temps.
A partir de l’étude : schéma de l’expérience. a) Un tardigrade à l’état tun est positionné entre les plaques du condensateur. Le qubit A se trouve sur la face inférieure et est couplé capacitivement au qubit B. La puce complète est placée dans une cavité 3D en cuivre qui est montée à l’intérieur d’un réfrigérateur à dilution et connectée à l’électronique standard à micro-ondes pour le sondage. b) Schéma du circuit des deux qubits et du tardigrade en tun. c) Agrandissement du tardigrade réanimé sur le qubit. Le tardigrade à l’état de tun est placé dans la même position tout en restant attaché à un petit morceau de papier filtre pendant l’expérience. (K. S. Lee et col./ arXiv)
Pour rappel, l’intrication quantique se produit lorsque des particules subatomiques interagissent entre elles bien qu’elles soient éloignées les unes des autres, un processus qu’Albert Einstein a surnommé « spooky action at a distance » (action fantôme à distance). Essentiellement, les effets se produisent lorsque deux minuscules particules subatomiques deviennent liées l’une à l’autre, de sorte que lorsque l’une d’entre elle change son spin ou le momentum, l’autre particule change de la même manière, même lorsque de grandes distances séparent les deux particules.
Les effets pourraient être capables de transcender le domaine subatomique, selon une étude publiée en 2018 dans laquelle une équipe de chercheurs a découvert que des bactéries photosynthétiques spécifiques sont capables d’intrication quantique avec des photons lumineux lorsque la fréquence de résonance de la lumière est reflétée dans une pièce qui finit par se synchroniser avec la fréquence des électrons dans les molécules photosynthétiques de la bactérie.
Il convient de noter que les résultats, qui ne sont pas encore passé par une évaluation par les pairs, sont déjà remis en question par d’autres physiciens, de sorte que nous devrons prendre leurs résultats avec des pincettes.
Pour l’écrivain scientifique et physicien Ben Brubaker en réponse à la prépublication :
Le qubit est un circuit électrique et le fait de mettre le tardigrade à côté de lui l’affecte par le biais des lois de l’électromagnétisme que nous connaissons depuis plus de 150 ans. Mettre un grain de poussière à côté du qubit aurait un effet similaire.
Douglas Natelson, directeur du département de physique et d’astronomie de l’université Rice au Texas, partage cet avis :
Il ne s’agit pas d’une intrication au sens propre du terme. Non, un tardigrade n’était pas intriqué de manière significative avec un qubit.
Ce que les auteurs ont fait ici a été de mettre un tardigrade sur les parties capacitives d’un des deux qubits couplés. Le tardigrade est principalement composé d’eau (gelée) et agit ici comme un diélectrique, déplaçant la fréquence de résonance du qubit sur lequel il se trouve. Il ne s’agit pas d’intrication au sens propre du terme.
Mais les scientifiques à l’origine de ces recherches pensent qu’ils sont sur la bonne voie, ils écrivent dans leur étude :
Notre recherche actuelle est peut-être la réalisation la plus proche de la combinaison de la matière biologique et de la matière quantique disponible avec la technologie actuelle. Alors qu’on pourrait s’attendre à des résultats physiques similaires à partir d’un objet inanimé de composition similaire au tardigrade, nous soulignons que l’intrication est observée avec un organisme entier qui conserve sa fonctionnalité biologique après l’expérience.
Au cas où vous vous poseriez la question, un seul des trois tardigrades , qui ont été prélevés dans une gouttière de toit au Danemark pas moins, a survécu à l’épreuve, après avoir été réchauffé 17 jours après l’expérience.
L’étude en prépublication dans arXiv : Entanglement between superconducting qubits and a tardigrade.
C’est fascinant: on s’approche du chat de Schrödinger. Même si comme indiqué dans l’article le protocole de l’expérience reste probablement assez discutable.
À un moment se posera aussi une question d’éthique.