Le plus grand dinosaure carnivore du monde flottait-il ou coulait-il ?
Les dinosaures sont généralement considérés comme des créatures terrestres, mais cela ne pourrait pas être plus éloigné de la réalité. Le Spinosaurus, l’un des plus méchants, des plus grands prédateurs de tous les temps, était semi-aquatique selon une nouvelle étude qui a analysé des centaines d’ossements.
Image d’entête : représentation artistique d’un Spinosaurus chassant un grand poisson-scie sous l’eau. (Davide Bonadonna)
Les spinosauridés sont parmi les dinosaures théropodes de grande taille les plus distinctifs et pourtant méconnus. L’espèce Spinosaurus, à laquelle la famille et la sous-famille empruntent leur nom, est le plus grand prédateur terrestre connu, encore plus grand que le célèbre T. rex, et il atteignait probablement une longueur de 15 à 16 mètres, voire plus. Ils vivaient il y a entre 145 et 100 millions d’années, au début du Crétacé.
Ces carnivores bipèdes avaient de grands membres antérieurs dotés de formidables griffes allongées, ainsi que des mâchoires de type crocodile et des dents en forme de cône. En outre, une étude de 2014 a suggéré que le Spinosaurus avait des narines rétractées, des pattes arrière courtes, une queue en forme de nageoire et des pieds en forme de pagaie et ce fut assez surprenant. Se pourrait-il que le Spinosaurus ait été aquatique ? Très probablement oui, à en juger par les toutes dernières preuves, dans lesquelles des chercheurs du Field Museum de Chicago (Etats-Unis) ont découvert que ces anciens prédateurs avaient des os denses, parfaitement adaptés pour plonger et chasser sous l’eau.
Les paléontologues ont minutieusement comparé les fossiles de Spinosaurus à 480 os appartenant à 290 espèces différentes, vivantes ou disparues, dont des reptiles marins et volants, des mammifères, des lézards, des crocodiles et des oiseaux. Les chercheurs se sont particulièrement intéressés aux fémurs et aux côtes, les os qui ont le plus d’influence sur le mouvement et l’équilibre. Leur forme et leur densité sont donc de bons indicateurs du caractère terrestre, aquatique ou volant d’une créature.
Il s’agissait d’un processus éreintant et long, mais l’effort a porté ses fruits. Cette analyse a d’abord montré que les animaux aquatiques ont une densité osseuse beaucoup plus élevée que les animaux terrestres, et la force de ce lien était tout à fait indéniable. Les animaux aquatiques qui s’immergent sous l’eau, comme les phoques et les baleines, ont des os presque entièrement solides, alors que les animaux terrestres ont des os creux en leur cœur.
Les paléontologues ont analysé les fossiles de trois groupes distincts de spinosauridés : Spinosaurus, Baryonyx, et Suchomimus. Le Spinosaurus et le Baryonyx avaient des os très denses propices à la nage et à la chasse en immersion, comme les crocodiles. En revanche, le troisième avait des os creux peu propices à la nage. Il est fort probable que le Suchomimus se déplaçait au-dessus de la surface de l’eau et y plongeait son museau pour chercher une proie lorsque l’occasion se présentait. Aucun des 39 autres dinosaures inclus dans l’analyse comparative n’était vraisemblablement à l’aise dans l’eau, selon les chercheurs.
Représentation d’un Baryonyx, originaire du Surrey en Angleterre, nageant dans une ancienne rivière avec un poisson dans ses mâchoires. Comme son parent africain Spinosaurus, beaucoup plus grand, Baryonyx avait des os denses, ce qui suggère qu’il passait lui aussi une grande partie de son temps immergé dans l’eau. On pensait auparavant qu’il était moins aquatique que son parent saharien. (Davide Bonadonna)
Selon le paléontologue Matteo Fabbri du Field Museum of Natural History et premier auteur de l’étude (lien plus bas) :
Sur la base de nos résultats, il n’y a pas d’autre explication à la forte densité osseuse observée sur l’ensemble de leur squelette. Certains dinosaures et mammifères incroyablement lourds présentent une densité plus élevée au niveau des os des membres, mais ce phénomène n’est pas généralisé à l’ensemble du squelette, ce qui permet de discerner facilement s’ils sont aquatiques ou simplement très lourds.
Avant de se lancer dans l’étude, les chercheurs soupçonnaient que les spinosauridés se sentaient au moins partiellement chez eux dans l’eau, à en juger par leur anatomie. Mais tirer des conclusions à partir de la seule anatomie d’une espèce n’est pas judicieux. Si vous regardiez les os d’un hippopotame sans rien savoir de cet animal, vous ne soupçonneriez probablement pas qu’il est aquatique et les hippopotames aiment l’eau !
A partir de l’étude : schéma présentant la relation entre la densité osseuse et l’écologie. Crédit : Fabbri et col./ Nature)
C’est pourquoi les mesures qualitatives effectuées par cette étude sont si importantes. Mais les connaissances ne sont aussi bonnes que les données, et c’est pourquoi la recherche comparative nécessite beaucoup d’échantillons (c’est-à-dire des fossiles) et une tonne de patience. Selon Jingmai O’Connor, conservateur au Field Museum et coauteur de la nouvelle recherche, les études de ce type qui s’appuient sur des centaines de spécimens représentent « l’avenir de la paléontologie ».
L’étude publiée dans Nature : Subaqueous foraging among carnivorous dinosaurs et présentée sur le site du Field Museum of Natural History : Dense bones allowed Spinosaurus to hunt underwater.