Le parasite Toxoplasma gondii permet aux loups infectés de devenir des chefs de meute
Une étude portant sur 26 ans de données comportementales sur les loups et une analyse du sang de 229 loups ont révélé que l’infection par le parasite Toxoplasma gondii rend les loups 46 fois plus susceptibles de devenir des chefs de meute.
Image d’entête : un loup dans le parc national de Yellowstone. (Yellowstone Wolf Project)
Ces recherches montrent que les effets de ce parasite dans la nature ont été largement sous-étudiés et que son rôle dans les écosystèmes et le comportement animal a été sous-estimé.
Si vous avez un chat, vous avez probablement déjà entendu parler de ce parasite. Cet organisme microscopique ne peut se reproduire que dans le corps des félins, mais il peut infecter et prospérer chez presque tous les animaux à sang chaud.
On ne peut pas dire que votre Guru soit “fan” de ce parasite, mais il le passionne par ses capacités à contrôler ses hôtes, comme vous pouvez le constater par le nombre d’articles (issus d’études) écrits à son sujet.
Cela inclut les humains, chez qui il peut (entre autres) provoquer une maladie parasitaire généralement asymptomatique (mais potentiellement mortelle) appelée toxoplasmose.
La dernière recherche sur ce parasite et l’humain, début novembre 2022 :
Une fois qu’il est dans un autre hôte, chaque parasite T. gondii doit trouver un moyen de ramener sa progéniture dans le chat s’il ne veut pas devenir un cul-de-sac de l’évolution. Effectivement, il se reproduit dans le tractus intestinal du chat et il a un moyen assez effrayant de maximiser ses chances de s’y trouver.
Les animaux comme les rats infectés par le parasite commencent à prendre plus de risques et, dans certains cas, sont attirés par l’odeur de l’urine des félins, ce qui les rend plus susceptibles d’être tués par ces derniers.
Pour les animaux plus grands, comme les chimpanzés, cela signifie un risque accru de rencontre avec un chat plus grand, comme un léopard. Les hyènes infectées par le T. gondii sont également plus susceptibles d’être tuées par des lions.
Les loups gris (Canis lupus) du parc national de Yellowstone (Montana/ États-Unis) ne sont pas exactement des proies pour les chats. Mais leur territoire empiète parfois sur celui des couguars (Puma concolor), porteurs connus du T. gondii, et les deux espèces s’attaquent aux wapitis (Cervus canadensis), aux bisons (Bison bison) et aux cerfs mulets (Odocoileus hemionus) que l’on peut également y trouver.
Il est possible que les loups soient également infectés, peut-être en mangeant occasionnellement des couguars morts ou en ingérant les excréments de ces derniers.
A partir de l’étude : Schéma de la possible boucle de rétroaction impliquant les loups gris, les couguars et T. gondii. Les chiffres rouges indiquent les animaux séropositifs et les noirs les animaux séronégatifs. Les flèches épaisses et violettes indiquent les liens soutenus par cette étude ou d’autres publications. Les lignes fines et grises indiquent des relations hypothétiques. (Meyer, Cassidy et col./ Communications Biology)
Les données recueillies sur les loups et leur comportement pendant près de 27 ans ont offert une rare opportunité d’étudier les effets du parasite sur un hôte sauvage intermédiaire.
Les chercheurs, dirigés par les biologistes Connor Meyer et Kira Cassidy du Yellowstone Wolf Project, ont également examiné des échantillons de sang de loups et de couguars pour évaluer le taux d’infection par le T. gondii. Ils ont constaté que les loups dont le territoire chevauche celui des couguars étaient plus susceptibles d’être infectés par le parasite.
Mais il y avait aussi une conséquence comportementale, avec une prise de risque significativement accrue. Les loups infectés étaient 11 fois plus susceptibles de se disperser de leur meute, vers un nouveau territoire. Les mâles infectés étaient 50% à quitter leur meute dans les 6 mois, contre 21 mois pour les non infectés. De même, les femelles infectées avaient 25 % de chances de quitter leur meute dans les 30 mois, contre 48 mois pour les non infectées.
Une meute de loups traquant un wapiti dans le parc national de Yellowstone. (Yellowstone Wolf Project)
Les loups infectés étaient également beaucoup plus susceptibles de devenir des chefs de meute. Le T. gondii peut augmenter le taux de testostérone, ce qui pourrait entraîner une augmentation de l’agressivité et de la dominance, des caractéristiques qui permettraient à un loup de s’affirmer en tant que chef de meute.
Cela a quelques importantes conséquences. Les chefs de meute sont ceux qui se reproduisent, et la transmission du T. gondii peut être congénitale, c’est-à-dire transmise de la mère à la progéniture. Mais elle peut aussi affecter la dynamique de la meute entière.
Une louve et ses petits dans le parc national de Yellowstone. (Yellowstone Wolf Project)
Selon les chercheurs dans leur étude :
En raison de la structure de vie en groupe de la meute de loups gris, les chefs de meute ont une influence disproportionnée sur leurs compagnons de meute et sur les décisions du groupe.
Si les loups chefs de meute sont infectés par T. gondii et présentent des changements de comportement… cela peut créer une dynamique par laquelle le comportement, déclenché par le parasite chez un loup, influence le reste des loups de la meute.
Si, par exemple, le chef de meute recherche l’odeur d’urine de couguar alors qu’il s’aventure audacieusement sur un nouveau territoire, il pourrait être davantage exposé au parasite, ce qui augmenterait le taux d’infection par le T. gondii dans toute la population de loups. Cela génère une sorte de boucle de rétroaction de chevauchement augmenté et d’infection.
C’est une preuve irréfutable que de minuscules agents, peu étudiés, peuvent avoir une influence considérable sur la dynamique des écosystèmes.
Selon les chercheurs :
Cette étude démontre comment les interactions au niveau de la communauté peuvent affecter le comportement individuel et pourrait potentiellement s’étendre à la prise de décision au niveau du groupe, à la biologie des populations et à l’écologie communautaire.
L’intégration des implications des infections parasitaires dans les futures recherches sur la faune est essentielle pour comprendre les impacts des parasites sur les individus, les groupes, les populations et les processus écosystémiques.
L’étude publiée dans Communications Biology : Parasitic infection increases risk-taking in a social, intermediate host carnivore et présentée dans Nature : Parasite gives wolves what it takes to be pack leaders.