La recette de l’embaumement révèle que les Égyptiens utilisaient des huiles exotiques de pays lointains pour préparer leurs momies
Des pots étiquetés découverts dans un atelier d’embaumement vieux de 2 500 ans ont révélé les extraits de plantes et d’animaux utilisés pour préparer les anciennes momies égyptiennes, y compris des ingrédients provenant de centaines, voire de milliers de kilomètres. Plus étonnant encore, l’équipe de scientifiques a pu associer les différentes substances aux parties spécifiques du corps sur lesquelles elles étaient utilisées.
Image d’entête : représentation de l’atelier souterrain d’embaumement de Saqqara dans l’Égypte ancienne. (Nikola Nevenov/ Nature)
Cette découverte est, en partie, due aux résidus eux-mêmes, qui ont été étudiés à l’aide de techniques biomoléculaires, mais de nombreux récipients étaient intacts, comprenant non seulement la désignation de leur contenu, mais aussi des instructions pour leur utilisation.
Selon l’archéologue Susanne Beck, de l’université de Tübingen en Allemagne :
Nous connaissons le nom de nombre de ces ingrédients d’embaumement depuis que les anciens écrits égyptiens ont été déchiffrés. Mais jusqu’à présent, nous ne pouvions que deviner quelles substances se cachaient derrière chaque nom.
L’atelier faisait partie d’un complexe funéraire entier à Saqqara, en Égypte, qui a été découvert par une équipe conjointe germano-égyptienne en 2018 (lien ci-dessous), datant de la XXVIe dynastie ou période saïte, entre 664 et 525 avant notre ère. Les fouilles dirigées par l’archéologue Ramadan Hussein de l’université de Tübingen, qui est malheureusement décédé l’année dernière, avant que les travaux ne puissent être achevés.
En 2018 :
Les biens funéraires comprenaient donc des momies, des vases canopes contenant leurs organes, et des figurines ouchebtis, destinées à servir les morts dans leur vie après la mort. Et il y avait l’atelier, rempli de pots en céramique, de tasses à mesurer et de bols, soigneusement étiquetés en fonction de leur contenu ou de leur utilisation.
A partir de l‘étude : les salles d’embaumement et les chambres funéraires du complexe de Saqqara. (M.Rageot et col./ Nature)
Sous la direction de l’archéologue Maxime Rageot, de l’université de Tübingen, les chercheurs ont procédé à un examen approfondi de 31 de ces récipients, en utilisant la chromatographie en phase gazeuse et la spectrométrie de masse pour déterminer les ingrédients des produits d’embaumement qu’ils contenaient. Les résultats détaillés sont fascinants, et dans certains cas, totalement inattendus.
Selon Maxime Rageot :
La substance étiquetée par les anciens Égyptiens comme antiu a longtemps été traduite par myrrhe ou encens. Mais nous avons maintenant pu montrer qu’il s’agit en fait d’un mélange d’ingrédients très différents.
L’équipe a découvert que ces ingrédients étaient de l’huile de cèdre, de genévrier ou de cyprès, et de la graisse animale, bien que le mélange puisse varier d’un endroit à l’autre et d’une époque à l’autre. Les chercheurs ont également comparé les instructions inscrites sur certains des récipients à leur contenu afin de déterminer comment chaque mélange était utilisé. Les instructions comprenaient « mettre sur sa tête », « bander ou embaumer avec », et « rendre son odeur agréable ».
Quelques-uns des récipients trouvés dans l’atelier d’embaumement. (Projet des tombes saïtes de Saqqara, Université de Tübingen/ M. Abdelghaffar)
Huit récipients différents comportaient des instructions concernant le traitement de la tête du défunt. De la résine de pistache et l’huile de ricin étaient des ingrédients qui n’apparaissaient que dans ces récipients, souvent dans un mélange contenant d’autres éléments, comme la résine d’élémi, l’huile végétale, la cire d’abeille et des huiles d’arbres.
La graisse animale et la résine de Burséracées étaient utilisées pour traiter l’odeur du corps en décomposition, et la graisse animale et la cire d’abeille étaient utilisées pour traiter la peau au troisième jour du traitement. Des huiles d’arbres ou des bitumes, ainsi que des huiles végétales ou des graisses animales, pouvaient être utilisés pour traiter les bandages utilisés pour envelopper la momie, comme on l’a trouvé dans huit autres récipients.
Mais il y a davantage… ce que ces mélanges peuvent révéler sur le commerce mondial de l’époque.
La pistache, l’huile de cèdre et le bitume provenaient probablement tous du Levant, sur la rive orientale de la Méditerranée. Cependant, l’élémi et une autre résine appelée dammar viennent de bien plus loin : l’élémi pousse à la fois en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud-Est, mais l’arbre qui produit le dammar ne pousse qu’en Asie du Sud-Est. Il est donc possible que ces deux résines aient emprunté la même route commerciale jusqu’en Égypte, notent les chercheurs dans leur étude, suggèrant que de gros efforts ont été déployés pour se procurer les ingrédients spécifiques utilisés pour l’embaumement. Cela a peut-être joué un rôle important dans l’installation de réseaux commerciaux mondiaux.
Entre-temps, l’équipe poursuivra ses travaux sur les 121 bols et coupes récupérés dans l’atelier.
Selon l’archéologue Philipp Stockhammer de l’université Ludwig-Maximilian de Munich, en Allemagne :
Grâce à toutes les inscriptions sur les récipients, nous pourrons à l’avenir déchiffrer plus précisément le vocabulaire de la chimie de l’Égypte ancienne, que nous ne comprenions pas suffisamment jusqu’à présent.
L’étude publiée dans Nature : Biomolecular analyses enable new insights into ancient Egyptian embalming, présentée dans cette même revue : The surprising chemicals used to embalm Egyptian mummies et sur le site de l’Université Louis-et-Maximilien de Munich : The chemistry of mummification – Traces of a global network.