Une étude montre comment des champignons attirent des coléoptères qui ravagent les arbres en Europe vers leur prochaine proie
Des millions de conifères ont été détruits dans toute l’Europe en raison d’infestations par le Bostryche typographe (Ips typographus), et des champignons aideraient ces coléoptères tueurs d’arbres, originaires d’Eurasie, en manipulant les défenses naturelles de ces derniers.
Image d’entête : un bostryche typographe femelle. (Fredrik Schlyter/ Université de Lund)
Selon une nouvelle étude (lien plus bas), ces minuscules insectes (scolyte) peuvent sentir les composés aromatiques produits par leurs partenaires symbiotiques, les champignons, qui décomposent la résine des arbres, ce qui leur permet de trouver plus facilement ceux qui leur conviennent pour se nourrir et se reproduire.
Le scolyte européen de l’épicéa Ips typographus : Le jeune adulte récemment éclos se trouve encore dans la chambre nymphale, au bout du tunnel qu’il a créé en tant que larve. Il est entouré de spores d’un champignon symbiotique. (Dineshkumar Kandasamy et Veit Grabe, Institut Max Planck d’écologie chimique)
Pour les auteurs de l’étude, mieux comprendre comment ces composés affectent les attaques de bostryches pourrait aider à protéger les conifères d’Europe, ce qui est important, car le changement climatique rend les forêts européennes plus vulnérables aux invasions d’insectes.
Les I. typographus, qui mesurent environ 5 millimètres de long, peuvent entraîner la mort d’arbres matures relativement rapidement, ce qui est attribué au fait qu’ils attaquent en grand nombre pour submerger les défenses de l’arbre et à la façon dont ils introduisent des symbiotes fongiques qui aident les coléoptères à envahir l’arbre et à s’y installer.
Cette espèce peut détruire plus de 100 millions de mètres cubes de forêt d’épicéas en une seule année en Europe et en Asie. (Peter Surovy/ Université de Lund)
De nombreuses interactions entre les insectes et les plantes qui les accueillent ont été liées à des composés odorants. Les arbres fabriquent un mélange élaboré de composés pour repousser, piéger ou empoisonner les insectes qui les mangent et les champignons amis qui vivent avec les insectes dans une relation ectosymbiotique.
Nous savons que les coléoptères utilisent des phéromones pour attirer de nouvelles recrues en vue d’attaques massives. Les composés produits par l’arbre « conquis » se rassemblent également chez d’autres coléoptères. Cependant, le rôle des phéromones dans le maintien de la symbiose fongique n’est pas bien compris.
La capacité des bostryches à surmonter le puissant système de défense des conifères a conduit certains scientifiques à se demander si les champignons ne pourraient pas les aider, car ils produisent leur propre mélange puissant de substances chimiques volatiles. Et les bostryches ciblent de préférence les arbres infectés par des champignons symbiotiques.
Les larves creusent des galeries dont les motifs évoquent des lettres typographiques, d’où l’épithète spécifique donné à cet insecte. (Tõnu Pani/ WIkimedia)
Les auteurs ont montré dans une précédente recherche que l’I. typographus pouvait identifier ses symbiotes fongiques des genres Grosmannia, Endoconidiophora et Ophiostoma par leurs composés chimiques.
Ils ont maintenant montré que Grosmannia penicillata et d’autres symbiotes fongiques métabolisent les composés de la résine d’épicéa provenant de l’épicéa commun (Picea abies), qui est l’arbre hôte du coléoptère, modifiant l’arôme en un mélange attrayant de dérivés oxygénés.
Selon l’auteur principal, Dineshkumar Kandasamy, biochimiste à l’université de Lund en Suède :
Nous avions déjà pu montrer que les bostryches sont attirés par leurs associés fongiques lorsque ceux-ci sont cultivés sur un milieu de croissance fongique standard. Nous voulions savoir ce qui se passerait si nous cultivions des champignons sur un milieu plus naturel auquel nous avions ajouté de la poudre d’écorce d’épicéa. Les coléoptères seraient-ils alors attirés par les champignons ?
L’équipe de chercheurs d’Europe et d’Afrique du Sud a effectué une série de tests en laboratoire avec des bostryches et des échantillons d’écorce d’épicéas de Norvège pour découvrir quels signaux chimiques les coléoptères utilisent pour trouver les arbres infectés par le champignon.
Ils ont découvert que le champignon G. penicillata décompose les substances chimiques contenues dans la résine de l’écorce, appelées monoterpènes, en de nouveaux composés et que 12 jours après l’infection fongique, ces composés constituaient la plupart des substances chimiques émises par les échantillons d’écorce.
Des phéromones spécifiques présentes dans l’écorce ont attiré les coléoptères, et les femelles, en particulier, étaient plus intéressées par les phéromones présentes sur l’écorce d’épicéa lorsque des champignons symbiotiques étaient présents.
Les chercheurs ont également découvert que les I. typographus possèdent des neurones olfactifs dédiés sensibles à ces composés oxygénés. Un autre type de champignon, Trichoderma sp., qui est nuisible aux bostryches, a également été testé et a produit des métabolites oxygénés, mais I. typographus ne s’y est pas intéressé.
Kandasamy et ses collègues ont été surpris de constater que lorsque les symbiotes fongiques se développaient sur l’écorce de l’épicéa, les bostryches étaient attirés vers l’écorce et y creusaient des tunnels.
Les résultats suggèrent que les scolytes peuvent sentir des mélanges de composés produits par des champignons et suivre l’odeur en fonction du fait que ces champignons sont leurs partenaires symbiotiques ou un danger pour eux. Les métabolites oxygénés peuvent aider les coléoptères à déterminer si un champignon est présent, si l’arbre hôte se protège bien ou si les champignons le submergent, et à localiser les sites potentiels d’alimentation et de reproduction.
Selon Jonathan Gershenzon, biochimiste à l’Institut Max Planck d’écologie chimique (Allemagne) :
La capacité du champignon à métaboliser les composants de la résine qui sont à l’origine produits par l’arbre pour se défendre pourrait indiquer quels champignons sont virulents et pourraient constituer de bons partenaires pour le coléoptère.
Mais si les phéromones du champignon peuvent être dévastatrices pour les arbres, elles pourraient être l’ingrédient secret d’une meilleure gestion des invasions de dendroctones.
Actuellement, les méthodes de lutte contre les ravageurs utilisent uniquement les phéromones des coléoptères pour attirer les victimes, mais elles ne sont pas très efficaces. L’ajout de produits chimiques fongiques au mélange pourrait être la solution pour attirer davantage de coléoptères dans les pièges à phéromones et sauver ainsi plus d’arbres.
L’étude publiée dans PLOS Biology : Conifer-killing bark beetles locate fungal symbionts by detecting volatile fungal metabolites of host tree resin monoterpenes et présentée sur le site du Max Planck Institute for Chemical Ecology : Symbiotic fungi transform terpenes from spruce resin into attractants for bark beetles.