Des chercheurs ont bombardé de neutrons de petits sarcophages de lézards de I’ancien Égypte pour en révéler leur contenu
Des égyptologues et des amateurs de l’histoire ont fait une incroyable découverte : le contenu de six sarcophages d’animaux a été étudié sans qu’aucun scientifique n’ouvre le couvercle du cercueil, grâce à une technique révolutionnaire de tomographie à neutrons ou neutronique.
Image d’entête : le coffret orné de l’image du dieu égyptien Atoum, à tête humaine, mi-anguille, mi-cobra. (The Trustees of the British Museum/ D. O’Flynn et col.)
Cette méthode a été utilisée par des scientifiques du British Museum et du Science and Technology Facilities Council (STFC/ Royaume-Uni), non pas pour éviter les malédictions légendaires liées au fait de déranger des restes momifiés, mais pour préserver les artefacts dans leur état naturel et entier, tout en jetant un coup d’œil furtif sur leur incroyable contenu antique.
Selon le Dr Daniel O’Flynn, scientifique spécialiste de l’imagerie à rayons X au British Museum :
En utilisant les capacités de l’imagerie neutronique, nous avons pu étudier les cercueils d’animaux scellés de manière non invasive et approfondir nos connaissances sur le monde fascinant de la momification des animaux dans l’Égypte ancienne.
La tomographie neutronique, qui permet de « voir » à travers le métal, a permis aux scientifiques d’examiner six cercueils d’animaux du premier millénaire avant notre ère, en bronze ou en alliage de cuivre au plomb, provenant de sites anciens tels que Naukratis et Tell el-Yahoudieh, dans le delta du Nil. Trois des cercueils sont datés de 500 à 300 avant notre ère, et les autres de 664 à 332 avant notre ère.
Le processus d’imagerie est similaire à celui des rayons X, sauf que cette méthode radiographique utilise des neutrons pour produire des images des objets qui se trouvent sur sa trajectoire.
À l’intérieur des cercueils, les scientifiques ont découvert de nouvelles informations sur les types d’animaux qui étaient momifiés et enterrés dans l’ancienne Égypte, très probablement dans le cadre de rituels plutôt que d’enterrements d’animaux de compagnie.
Bien que l’espèce de lézard n’ait pas pu être identifiée en raison de la variabilité de la taille, les chercheurs sont convaincus que les os trouvés appartiennent à des reptiles du genre Mesalina. Plusieurs espèces de ces lézards sont endémiques en Afrique du Nord.
Les images ont également révélé les restes d’un textile, ce qui suggère que les lézards ont été enveloppés, très probablement dans du lin. Ce tissu était couramment utilisé à l’époque pour la momification des humains et des animaux.
Cercueil animal EA36167, surmonté d’une silhouette de lézard. L’imagerie neutronique montre un crâne de lézard (encart). (The Trustees of the British Museum/ D. O’Flynn et col.)
Selon les scientifiques, ces lézards momifiés étaient liés au culte du créateur égyptien et des dieux du soleil comme Atoum, dont l’imagerie moitié cobra, moitié anguille ornait deux de ces cercueils. La plupart des animaux momifiés étaient également élevés en grand nombre, souvent pour être sacrifiés jeunes dans le cadre d’offrandes lors de cérémonies religieuses.
Selon Aurélia Masson-Berghoff, conservatrice de projets au British Museum :
Au premier millénaire avant J.-C., les lézards étaient couramment momifiés dans l’ancienne Égypte, tout comme d’autres reptiles, des chats, des chiens, des faucons, des ibis, des musaraignes et des poissons. Les lézards, comme les serpents et les anguilles, étaient plus particulièrement associés aux dieux solaires et créateurs de l’Égypte ancienne, tels qu’Atoum et peut-être, dans le cas de Naukratis, à Amon-Ra Shena.
On estime que certains sites funéraires souterrains de l’ancienne Égypte contiennent des centaines de milliers d’animaux momifiés, mais tous n’ont pas été conservés avec autant de soin dans des boites métalliques, peut-être en raison du coût des métaux rares à l’époque. Les trois cercueils de Naukratis analysés proviennent d’une découverte qui comprenait également plus de 100 sarcophages d’animaux ornés de figures de lézards, d’anguilles et de serpents.
Outre leur contenu, l’imagerie neutronique a également permis aux scientifiques d’observer les structures des cercueils, dont certains présentent des crochets suggérant qu’il s’agissait autrefois de tombes suspendues, et d’autres des plaques de plomb potentiellement utilisées comme support. Les chercheurs supposent également que le plomb a pu être choisi en raison de ses propriétés « magiques », les Égyptiens de l’époque l’utilisant pour les élixirs d’amour.
Selon Anna Fedrigo, Marie Skłodowska-Curie Fellow du STFC :
L’imagerie neutronique a de nombreuses applications importantes dans la science du 21e siècle. Cette étude montre qu’elle peut également mettre en lumière la structure interne d’objets archéologiques complexes, y compris leurs techniques de fabrication et leur contenu. Ainsi, nous pouvons en apprendre davantage sur les pratiques rituelles et votives entourant ces cercueils d’animaux autrefois impénétrables, ainsi que sur la manière dont ils étaient fabriqués, utilisés et exposés.
Les vidéos ci-dessous, tirées de l’étude, présentent les tomographies neutroniques qui ont permis de révéler l’intérieur des boites scellées et de découvrir les matériaux dont ils étaient constitués.
Tomographie neutronique du cercueil d’animal EA36167 (vue de dessus). (D. O’Flynn et col./ Scientific Reports)
Tomographie neutronique du cercueil d’animal EA27584 (vue de dessus). (D. O’Flynn et col./ Scientific Reports)
Tomographie neutronique du cercueil d’animal EA27584 (vue de côté). (D. O’Flynn et col./ Scientific Reports)
L’étude publiée dans Scientific Reports : Neutron tomography of sealed copper alloy animal coffins from ancient Egypt et présentée sur le site du British Museum : British Museum ‘unwraps’ secrets of ancient Egyptian lizard mummies.