Une reconstruction musculaire révèle que "Lucy", vieille de 3,2 millions d’années, pouvait se tenir aussi droite que l’humain moderne
Nous n’aurons peut-être jamais que 47 des 207 os qui constituaient le squelette de ce spécimen d’Australopithecus afarensis vieux de 3,18 millions d’années, connu sous le nom de Lucy, mais cela a suffi pour faire d’incroyables découvertes (et susciter plus d’une controverse) qui ont influencé l’évolution humaine.
GIF d’entête, à partir de l’étude : modèle 3D reconstituant les muscles des membres inférieurs du fossile Al 288-1 (Lucy). (Ashleigh L. A. Wiseman/ Royal Society Open Science)
La dernière en date nous vient du Royaume-Uni, de l’université de Cambridge, où la chercheuse Ashleigh Wiseman a pour la première fois reconstruit numériquement les tissus mous de Lucy dans un modèle informatique en 3D. Les images, qui recréent la musculature de la jambe et du bassin, confirment l’hypothèse selon laquelle cet hominidé arboricole à temps partiel marchait debout, comme les humains, mais plus de 3 millions d’années plus tôt.
En commençant par des IRM et des tomodensitogrammes humains pour cartographier les voies musculaires, Wiseman s’est ensuite concentré sur des reconstructions virtuelles des os et des articulations de Lucy, puis a marié des indices provenant de « cicatrices » musculaires sur les os.
Le modèle ainsi obtenu montre que Lucy était capable de se déplacer debout, mais qu’elle possédait également de puissants muscles des jambes qui facilitaient le mode de vie mi-terrestre, mi-arboricole de son espèce. Les chercheurs pensent que la puissance musculaire supplémentaire des jambes, 74 % de la masse totale contre environ 50 % chez l’humain, permettait à l’A. afarensis d’exploiter à la fois les habitats terrestres et arboricoles.
A partir de l’étude : diagramme du processus de la recherche. (Ashleigh L. A. Wiseman/ Royal Society Open Science)
Selon Wiseman, de l’Institut de recherche archéologique McDonald de l’université de Cambridge :
La capacité de Lucy à marcher debout ne peut être connue qu’en reconstruisant le chemin et l’espace qu’un muscle occupe dans le corps. Nous sommes aujourd’hui le seul animal capable de se tenir debout avec des genoux droits. Les muscles de Lucy suggèrent qu’elle maîtrisait la bipédie aussi bien que nous, tout en étant probablement à l’aise dans les arbres. Lucy a probablement marché et s’est déplacée d’une manière que l’on ne retrouve chez aucune espèce vivante aujourd’hui.
Les ossements de Lucy ont été découverts par Donald Johanson en 1974, à Hadar, en Éthiopie. D’abord considérée comme appartenant au genre Homo, Lucy, officiellement connue sous le nom de AL 288-1, a reçu 4 ans plus tard sa propre classification suite à la découverte d’autres fossiles à Laetoli, au Kenya, qui laissaient penser que les scientifiques avaient affaire à une toute nouvelle lignée. Depuis lors, les chercheurs ont pu établir qu’A. Afarensis, une espèce extrêmement prospère, a vécu pendant environ 900 000 ans, entre 3,9 et 2,8 millions d’années.
Peu après sa découverte, l’analyse des os a révélé que Lucy, qui a été nommée d’après Lucy In the Sky with Diamonds des Beatles, diffusé à la radio sur le site de fouilles en 1974, était une femelle, très probablement une jeune adulte grâce à une dent de sagesse et à la fusion de certains os, et qu’elle mesurait environ 1,05 m.
Bien que la façon dont elle marchait ait fait l’objet de nombreux débats, cette étude révèle des articulations du genou et des structures musculaires spécifiques qui confirment la théorie la plus répandue, à savoir qu’elle se tenait parfaitement droite et qu’elle avait encore les capacités physiques nécessaires pour grimper jusqu’à la cime des arbres.
Selon Wiseman :
L’Australopithecus afarensis aurait parcouru des zones de prairies boisées ouvertes ainsi que des forêts plus denses en Afrique de l’Est il y a environ 3 à 4 millions d’années. Ces reconstructions des muscles de Lucy suggèrent qu’elle aurait été capable d’exploiter efficacement les deux habitats.
Coupe transversale de l’approche de modélisation du muscle polygonal, guidée par les cicatrices musculaires et les données de l’IRM. (Ashleigh L. A. Wiseman/ Royal Society Open Science)
Si la datation des fossiles a fourni de précieuses informations sur l’évolution humaine, la possibilité de suivre des mouvements spécifiques permet de mieux comprendre comment, 3 millions d’années plus tard, l’Homo sapiens est apparu et s’est rapidement répandu sur la planète.
Wiseman ajoute :
Les reconstructions musculaires ont déjà été utilisées pour évaluer la vitesse de course d’un T. rex, par exemple. En appliquant des techniques similaires aux ancêtres de l’homme, nous voulons révéler l’éventail des mouvements physiques qui ont propulsé notre évolution, y compris les capacités que nous avons perdues.
L’étude publiée dans Royal Society Open Science : Three-dimensional volumetric muscle reconstruction of the Australopithecus afarensis pelvis and limb, with estimations of limb leverage et présentée sur le site de l’Université de Cambridge : First hominin muscle reconstruction shows 3.2 million-year-old ‘Lucy’ could stand as erect as we can.