Il y a 3 000 ans, les Égyptiens réalisaient des travaux d’ingénierie hydraulique autour du Nil
Sur un tronçon d’environ 1 000 km le long du Nil, on trouve des centaines d’étranges murs de pierre. Certains ont été construits relativement récemment pour piéger le limon du Nil riche en nutriments pour l’agriculture, une pratique attestée depuis le début du 19e siècle. Mais d’autres sont plus étranges.
Image d’entête : murs situés dans un canal du Nil au nord du Soudan. (Université d’Australie occidentale)
Aujourd’hui, grâce à un mélange de données satellitaires, chimiques et à partir de drones, des chercheurs pensent avoir découvert leur raison d’être : l’ingénierie hydraulique à long terme.
En matière d’archéologie, rien ne vaut l’Égypte. Les anciens Égyptiens ont construit comme aucune autre culture, mais l’attention se porte surtout sur les pyramides et autres monuments similaires. Cependant, des structures plus modestes sont tout aussi intéressantes pour les archéologues. Prenons, par exemple, les centaines « d’épis fluviaux » aujourd’hui submergés sous le réservoir du haut barrage d’Assouan. Ces épis sont en fait des digues ou des murs utilisés pour diriger le flux de l’eau, mais leur fonction exacte demeurait jusqu’à présent obscure.
Un épi construit au 20e siècle sur le Nil. (Université d’Australie occidentale)
Selon l’auteur principal, le Dr Matthew Dalton, de l’université d’Australie-occidentale :
Nous avons utilisé des images satellites, des drones et des relevés au sol, ainsi que des sources historiques, pour localiser près de 1 300 épis de rivière entre la première cataracte dans le sud de l’Égypte et la quatrième cataracte au Soudan.
Pour rendre les choses encore plus mystérieuses, de nombreuses structures de ce type se trouvent aujourd’hui dans le désert, à l’intérieur d’anciens chenaux asséchés du Nil. Les auteurs d’une nouvelle étude (lien plus bas) expliquent que même ces structures ont été construites pour gérer le Nil, mais que le débit du fleuve a changé avec le temps.
A partir de l’étude : Exemples de méthodes de construction de murs dans une région aujourd’hui désertique. (a) Murs latéraux (parallèles, plats). (b) Murs latéraux (perpendiculaires, droits). (c) Homogène. (d) Simple rangée. (e) Indéterminé (monticule linéaire). (f) Indéterminé (dispersion linéaire). (M. Dalton et col./ Geoarchaeology)
Selon le coauteur de l’étude, le professeur Jamie Woodward, de l’université de Manchester (Royaume-Uni) :
Nous savons que des tronçons du Nil au Soudan possédaient plusieurs canaux plus tôt dans l’Holocène et que nombre d’entre eux se sont asséchés lorsque le débit du fleuve a diminué en raison du changement climatique.
La première tâche consistait à dater les structures. En utilisant des techniques de datation au radiocarbone et par luminescence, l’équipe a établi que bon nombre de ces anciens canaux ont été construits il y a environ 3 000 ans. L’équipe a analysé leur position, leur structure et la position du Nil au moment de leur construction. Ils ont conclu que les murs retenaient le limon fertile pendant la saison des crues du Nil. Cela a permis à la civilisation qui les a construits de cultiver la terre sans irrigation artificielle supplémentaire.
A partir de l’étude : Carte des épis fluviaux répertoriés dans cette étude de télédétection (points blancs) et dans la littérature publiée (étoiles vertes). (M. Dalton et col./ Geoarchaeology)
De plus, il semble que les Égyptiens n’aient pas été les premiers à les construire. La civilisation nubienne de la région semble avoir été les premiers, après quoi les Égyptiens ont également repris la technique. De plus, cette technique simple semble être si efficace qu’elle est encore utilisée de nos jours.
Selon le Dr Dalton :
En discutant avec des agriculteurs de Nubie soudanaise, nous avons appris que des épis fluviaux continuaient d’être construits jusque dans les années 1970, et que les terres formées par certains murs sont encore cultivées aujourd’hui. Cette technologie hydraulique incroyablement durable a joué un rôle crucial en permettant aux communautés de cultiver des aliments et de prospérer dans les paysages difficiles de la Nubie pendant plus de 3 000 ans.
Mais toutes ces structures ne sont pas identiques. Certains murs de pierre étaient beaucoup plus grands, mesurant jusqu’à 5 mètres d’épaisseur. Les chercheurs pensent qu’ils servaient à diriger le débit du fleuve et à faciliter la navigation des bateaux dans les dangereux rapides du Nil.
L’ampleur des constructions est impressionnante. Il ne s’agit pas seulement d’un ou deux murs dispersés, mais d’un millier de kilomètres où le système a été soigneusement déployé. En fait, selon le Dr Dalton, cette structure pourrait être l’une des structures méconnues qui ont permis aux civilisations de la vallée du Nil de prospérer.
Pour les chercheurs :
Ces épis fluviaux monumentaux ont contribué à relier les peuples de l’Égypte et de la Nubie antiques en facilitant la circulation sur de longues distances des ressources, des armées, des personnes et des idées en amont et en aval du Nil.
L’étude publiée dans la revue Geoarchaeology : Three thousand years of river channel engineering in the Nile Valley et présentée sur le site de l’université d’Australie-occidentale : Walls along River Nile reveal ancient form of hydraulic engineering.