Ça va faire mal : les fourmis de feu arrivent en Europe
Des scientifiques alertent sur le fait que l’une des espèces les plus envahissantes au monde a désormais établi des colonies en Europe.
La fourmi de feu (Solenopsis invicta) importée est une espèce agressive originaire d’Amérique du Sud qui, au cours du siècle dernier, s’est étendue à l’Amérique du Nord, à l’Asie et à l’Océanie au-delà de son aire de répartition naturelle au Brésil, en Argentine et au Pérou.
Les mises en garde concernant ces fourmis interviennent une semaine après que des évaluations internationales réalisées par la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) aient révélé (lien ci-dessous) que les espèces exotiques envahissantes coûtent chaque année à l’économie mondiale un demi-billion de dollars américains.
Cette semaine, l’Institut espagnol de biologie évolutive (IBE) a confirmé l’arrivée de ce dangereux ravageur en Sicile, qui pourrait se propager jusqu’au Royaume-Uni s’il n’est pas contrôlé.
Selon Mattia Menchetti, biologiste évolutionniste ayant participé à l’étude (lien plus bas) :
Pendant des décennies, les scientifiques ont craint son arrivée en Europe. Nous n’en avons pas cru nos yeux lorsque nous l’avons vu. Il y a un grand nombre d’espèces de fourmis exotiques qui s’établissent actuellement en Europe, et l’absence de cette espèce était en quelque sorte un soulagement… S. invicta est l’une des pires espèces envahissantes et peut se propager à une vitesse alarmante.
Menchetti et ses collègues de l’IBE se sont rendus à Syracuse pour enquêter sur des rapports liés à des photos publiées en ligne qui semblaient représenter la fourmi de feu rouge. Ils ont prélevé des échantillons sur 88 nids répartis sur un site de 4,7 hectares abritant des milliers de fourmis ouvrières. Mais Menchetti et ses collègues pensent que les fourmis se sont probablement propagées au-delà de ce site local, et des habitants leur ont dit qu’ils subissaient de douloureuses piqûres de fourmis depuis 2019. Selon lui, les habitants pourraient contribuer à informer les chercheurs et les autorités de l’ampleur de l’invasion grâce à des initiatives que l’IBE espère rapidement mettre en place.
A partir de l’étude : (A) La zone envahie en Sicile est marquée d’une étoile. Les directions des trajectoires des vents partant (vers l’avant) et arrivant (vers l’arrière) dans la zone d’étude sont indiquées en pourcentage sur la période totale. Les principaux centres commerciaux de l’île sont mis en évidence. La carte en encart résume les données récupérées pour les aires de répartition des espèces exotiques et indigènes. (B) Vol nuptial en janvier 2023. (C) Vue satellite de la zone d’étude (37.055N, 15.267E) et des positions des nids de fourmis. (M. Menchetti et col./ Current Biology)
Menchetti précise :
Les fourmis sont donc probablement là depuis un certain temps. Les citoyens peuvent jouer un rôle très important dans ce domaine. Nous espérons qu’avec leur aide, nous pourrons couvrir une zone plus large. Cela nous aidera à suivre et à repérer toutes les zones possibles envahies dans la région. Il faut sensibiliser davantage à ce problème, car il existe déjà en Europe. Nous avons besoin d’une action coordonnée, et ce dès maintenant.
Après avoir confirmé la présence de fourmis de feu en Sicile, l’IBE a modélisé la manière dont l’espèce pouvait se propager. Les fourmis de feu peuvent couvrir de vastes distances grâce au vent qui les pousse vers de nouveaux endroits où des colonies peuvent s’établir. Le transport maritime est également une cause importante de l’exportation de cette espèce à travers le monde : il est à l’origine de l’introduction involontaire de l’espèce en Alabama dans les années 1930, à Taïwan en 2003 et en Chine continentale l’année suivante.
Une fourmi de feu. (Jesse Rorabaugh/ IBE)
L’IBE a extrait l’ADN de fourmis reines trouvées sur chaque site, et les chercheurs ont constaté qu’il correspondait exactement aux colonies connues en Chine et aux États-Unis. Bien que la voie d’entrée exacte de l’espèce en Italie ne soit pas clairement établie, le port commercial de Syracuse est considéré comme une source probable et le groupe de recherche recommande de poursuivre la surveillance de cette plaque tournante du transport maritime.
Les fourmis de feu ont été contrôlées dans d’autres endroits, mais rarement éradiquées. Seule la Nouvelle-Zélande a réussi à contenir et à mettre fin à une épidémie, et d’autres juridictions considèrent son approche comme un exemple pour la lutte future.
La modélisation réalisée dans le cadre de l’étude suggère qu’environ 7 % de l’Europe offre un habitat et un climat propices au développement de l’espèce. Avec le réchauffement climatique, cette proportion pourrait atteindre la moitié du continent, les grandes villes portuaires constituant un terrain de choix pour les envahisseurs.
A partir de l’étude, présence actuelle et future de la fourmi de feu : (G) Prédiction cartographique du modèle d’ensemble dans les conditions environnementales actuelles et futures (H). (I) Tendances futures de la zone appropriée prédite (% de la zone totale). (M. Menchetti et col./ Current Biology)
Selon Roger Vila, auteur principal de l’étude :
C’est d’autant plus préoccupant que de nombreuses villes, dont Londres, Amsterdam et Rome, disposent de grands ports maritimes, ce qui pourrait permettre aux fourmis de se répandre rapidement dans d’autres pays et continents.
L’étude publiée dans Current Biology : The invasive ant Solenopsis invicta is established in Europe et présentée sur le site de l’Instituto de Biología Evolutiva (IBE) : The red fire ant is now established in Europe and could reach the UK.