Le côté loufoque de la science à l’honneur avec tous les lauréats des prix Ig Nobel 2023
Le prix Nobel est la première récompense scientifique, réservée à ceux qui « ont apporté le plus grand bénéfice à l’humanité ». Le prix Ig Nobel, quant à lui, célèbre les choses les plus triviales et les plus saugrenues que certains des plus brillants esprits ont étudiées, de la science qui fait rire et ensuite réfléchir… La 33e cérémonie annuelle des prix Ig Nobel a eu lieu cette semaine.
Cette année, elle a été entièrement diffusée sur le web (la vidéo en fin d’article), avec des effets spéciaux délibérément pitoyables, une musique d’introduction en direct parmi les plus délibérément pathétiques, des dizaines de scientifiques dont les sentiments sont manifestement partagés, et de nombreux chapeaux ridicules.
Les lauréats de 2023 sont désormais des experts qui ont fait progresser les connaissances de l’humanité sur de grandes questions… comme « à quel point les élèves et les enseignants s’ennuient-ils à l’école ? ». Ou « Dans quelle mesure les anchois excités influencent-ils le mélange des eaux océaniques ? » Ou « si un groupe de personnes se tient dans la rue en regardant vers le haut, la taille du groupe influe-t-elle sur le nombre de passants non apparentés qui décident également de regarder vers le haut ? » Ou encore cette vieille rengaine : « Avons-nous besoin de toilettes qui analysent nos excréments et nous identifient en prenant des photos de nos anus ? »…
Les lauréats, qui se sont vu remettre des billets de dix milliards de dollars du Zimbabwe par une série de lauréats du prix Nobel médusés, sont les suivants :
Prix de littérature : La La La mise en place d’un Jamais Vu en laboratoire
Décerné aux chercheurs et chercheuses Chris Moulin, Nicole Bell, Merita Turunen, Arina Baharin et Akira O’Connor, pour avoir étudié les sensations de “jamais vu” ressenties par les personnes qui répètent un seul mot de nombreuses fois.
Selon le résumé de l’étude :
Le phénomène du jamais vu est considéré comme l’opposé du déjà vu, c’est-à-dire le fait de trouver subjectivement peu familier quelque chose que l’on sait être familier. Nous avons cherché à démontrer que l’expérience subjective du jamais vu peut être produite dans des tâches d’aliénation de mots, en émettant l’hypothèse que le déjà vu et le jamais vu sont des phénomènes de mémoire expérientielle similaires.
Les participants ont copié des mots à plusieurs reprises jusqu’à ce qu’ils se sentent « bizarres », qu’ils aient terminé la tâche ou qu’ils aient une autre raison de s’arrêter. Environ deux tiers des participants (dans environ un tiers des essais) ont fait état d’expériences subjectives étranges au cours de la tâche. Les participants ont déclaré se sentir bizarres après environ trente répétitions, soit une minute. Nous décrivons ces expériences comme du jamais vu. Ce phénomène induit expérimentalement était lié à des expériences de non-familiarité dans le monde réel. Bien que nous ayons reproduit des modèles connus de corrélations avec le déjà-vu (âge et expériences dissociatives), le même modèle n’a pas été trouvé pour notre analogue expérimental du jamais-vu, ce qui suggère certaines différences entre les deux phénomènes. Cependant, dans la vie quotidienne, les personnes qui avaient plus souvent des expériences de déjà vu avaient également plus souvent des expériences de jamais vu. Les résultats sont discutés en référence aux progrès réalisés dans la recherche sur le déjà vu ces dernières années, en vue d’accélérer notre compréhension du déjà vu.
L’étude publiée dans la revue Memory : The The The The Induction of Jamais Vu in the Laboratory: Word Alienation and Semantic Satiation.
Prix de la santé publique : les toilettes (trop intime) de Stanford
Cette recherche dirigée par Seung-min Park a été publiée en 2020 et porte sur un dispositif appelé « toilettes de Stanford », des toilettes capables de détecter des signes de maladie à partir d’excréments humains. Les toilettes utilisent un certain nombre de capteurs, dont une caméra placée à l’intérieur de la cuvette.
Les chercheurs y ont incorporé la capacité d’identifier les utilisateurs, disposant d’un lecteur d’empreintes digitales intégré au levier de la chasse d’eau et, plus innovant, un lecteur d’empreintes anales…
Bien qu’amusantes, ces toilettes ne sont pas uniquement restées dans un laboratoire. Seung-min Park a fondé une start-up en collaboration avec une entreprise renommée de fabrication de bidets en Corée.
L’étude publiée dans Nature Biomedical Engineering : A Mountable Toilet System for Personalized Health Monitoring via the Analysis of Excreta.
Prix de la communication : l’activité mentale de personnes expertes dans l’art de parler verlens
María José Torres-Prioris, Diana López-Barroso, Estela Càmara, Sol Fittipaldi, Lucas Sedeño, Agustín Ibáñez, Marcelo Berthier et Adolfo García, pour avoir étudié l’activité mentale de personnes expertes dans l’art de parler à l’envers.
Leur étude publiée dans Scientific Reports : Neurocognitive Signatures of Phonemic Sequencing in Expert Backward Speakers.
Prix d’ingénierie mécanique : la poignée d’araignée zombie
Une autre équipe de l’Université Rice au Texas a remporté l’Ig Nobel du génie mécanique pour avoir “réanimé” des araignées mortes afin de les utiliser comme outils de préhension mécaniques.
La recherche a été publiée en 2022 et portait sur l’idée de s’inspirer du monde naturel à un tout autre niveau : les pattes d’araignées en mouvement sont devenues des outils de préhension, mais seulement une fois mortes.
Votre Guru vous l’avez présenté en détail à l’époque :
Par un système d’injection d’air, cette pince nécrobotique est capable de saisir des objets à géométrie irrégulière et jusqu’à 130 % de sa propre masse, selon les chercheurs.
En outre, la pince peut servir d’appareil portatif et se camoufle de manière innée dans les environnements extérieurs.
L’étude publiée dans Advanced Science : Necrobotics: Biotic Materials as Ready-to-Use Actuators.
Prix de la chimie et de la géologie : sur ces géologues qui lèchent des roches
Le scientifique Jan Zalasiewicz a écrit dans l’une de ses chroniques que les scientifiques/ géologues lèchent régulièrement les roches.
Les différents types de roches peuvent être très difficiles à distinguer, surtout lorsqu’on se trouve en pleine nature avec seulement un marteau et une loupe. Dans l’étude des roches, les chercheurs n’hésitent donc pas à lécher ces dernières après les avoir martelés, avant d’examiner le morceau étudié à l’aide d’une lentille. Selon Zalasiewicz, la surface humide de la roche révèle plus rapidement la forme et la couleur des grains, un peu comme un morceau de bois brut par rapport à un morceau de bois verni.
Plus intéressant encore, un célèbre géologue des années 1750 a également utilisé cette technique, mais d’une manière différente. Giovanni Arduino, auteur d’une étude classique écrite en 1759, qui a jeté les bases de l’échelle des temps géologiques que nous utilisons aujourd’hui, utilisait le goût pour identifier les différents types de roches et de minéraux (parfois en les brûlant d’abord pour élargir l’effet), décrivant ensuite avec richesse de détails les différents effets gustatifs qu’il ressentait.
La chronique de Jan Zalasiewicz dans The Paleontological Association : Eating Fossils.
Prix de médecine : la croissance des poils de nez chez les cadavres
Une équipe internationale s’est penchée sur un sujet particulièrement macabre, la croissance des poils de nez sur des cadavres, pour vérifier qu’ils étaient identiques.
Vingt cadavres d’une école de médecine du sud de la Californie ont dû faire l’expérience d’un chatouillement en 2020 lorsque les chercheurs ont utilisé un ruban à mesurer pour vérifier la longueur et compter individuellement le nombre de poils de chacun.
Leur intention de décrire les modèles de croissance des poils de nez humains peut sembler inhabituelle, mais elle est née de la ”nécessité de mieux comprendre” le rôle qu’ils jouent en tant que première ligne de défense du système respiratoire. Selon les chercheurs, ces connaissances sont directement applicables aux patients atteints d’alopécie areata, qui peuvent présenter une perte de poils nasaux et sont potentiellement exposés à un risque accru d’exposition à des particules allergiques et infectieuses. Les informations dont ces chercheurs avaient besoin n’étaient pas disponibles dans les manuels d’anatomie, c’est pourquoi ils ont décidé de le découvrir par eux-mêmes.
Si cela vous intéresse, ils ont découvert que le nombre moyen de poils de nez était de 120 à gauche et de 122 à droite…
L’étude publiée dans le Journal of the American Academy of Dermatology : The Quantification and Measurement of Nasal Hairs in a Cadaveric Population.
Prix de la nutrition : avec baguettes et pailles électrifiées
En 2011, les chercheurs Homei Miyashita et Hiromi Nakamura ont cherché à étendre notre sens du goût en utilisant la stimulation électrique. Ils ont conçu un système utilisant des stimuli électriques délivrés par des pailles et des baguettes, permettant aux utilisateurs de percevoir un « goût électrique », les ajustements de tension jouant un rôle crucial dans l’amélioration de la détection du goût.
Image ci-dessus, à partir de l’étude, Interface de baguettes pour améliorer la gustation des aliments : la résistance des aliments étant inférieure à celle de la langue, un courant électrique passe entre la langue et les aliments. (Hiromi Nakamura et Homei Miyashita)
L’étude publiée dans The Proceedings of the 2nd Augmented Human International Conference : Augmented Gustation Using Electricity.
Prix de l’éducation : l’anticipation de l’ennui entraine l’ennui
Katy Tam, Cyanea Poon, Victoria Hui, Wijnand van Tilburg, Christy Wong, Vivian Kwong, Gigi Yuen et Christian Chan, pour avoir étudié méthodiquement l’ennui des enseignants et des étudiants. S’il y a quelque chose de plus excitant que l’ennui, c’est bien leur étude intitulée « L’ennui engendre l’ennui : une étude par échantillonnage sur l’impact de l’ennui de l’enseignant sur l’ennui et la motivation de l’élève ».
Selon les chercheurs dans leur étude :
Les recherches ont été menées dans des environnements de cours universitaires naturels. Nous avons constaté que les étudiants qui s’attendaient à ce qu’un cours les ennuie davantage se sentaient plus ennuyés par la suite. Dans l’étude 3, nous avons manipulé expérimentalement l’anticipation de l’ennui avant que les participants ne regardent une vidéo de cours. Nous avons constaté que ceux qui étaient amenés à anticiper des niveaux d’ennui plus élevés se sentaient plus ennuyés par la vidéo.
Les résultats convergent pour indiquer que le simple fait de s’attendre à ce qu’un cours soit ennuyeux peut suffire à exacerber l’ennui.
L’étude publiée dans la revue Educational Psychology : Boredom Begets Boredom: An Experience Sampling Study on the Impact of Teacher Boredom on Student Boredom and Motivation.
Prix de psychologie : sur le pouvoir de persuasion de foules de différentes tailles
Stanley Milgram, Leonard Bickman et Lawrence Berkowitz, pour des expériences menées dans la rue afin de déterminer combien de passants s’arrêtent pour regarder vers le haut lorsqu’ils voient des étrangers regarder vers le haut.
Selon le résumé de l’étude :
Rapports sur la relation entre la taille d’une foule de stimulus, se tenant dans une rue animée de la ville et regardant un bâtiment, et la réaction des passants. Plus la taille de la foule stimulante augmentait, plus la proportion de passants adoptant le comportement de la foule augmentait. Les sujets étaient 1424 piétons. Les résultats suggèrent une modification du modèle de J. S. Coleman et J. James sur la taille des groupes en formation libre pour y inclure une hypothèse de contagion.
A partir de l’étude : graphique présentant le pourcentage moyen de passant qui regarde vers le haut et qui s’arrete en fonction de la taille de la foule stimulus. (Stanley Milgram, Leonard Bickman et Lawrence Berkowitz/ Journal of Personality and Social Psychology)
Ils ont approfondi le sujet dans leur étude publiée dans le Journal of Personality and Social Psychology : Note on the Drawing Power of Crowds of Different Size.
Prix de physique : le brassage de l’eau de mer par des anchois sexuellement excités
Bieito Fernández Castro, Marian Peña, Enrique Nogueira, Miguel Gilcoto, Esperanza Broullón, Antonio Comesaña, Damien Bouffard, Alberto C. Naveira Garabato et Beatriz Mouriño-Carballido, pour avoir mesuré l’influence de l’activité sexuelle des anchois sur le brassage de l’eau de mer. (Mélange intense de l’océan supérieur dû à de grandes agrégations de poissons en train de frayer).
Le résumé de l’étude :
L’étude publiée dans Nature geoscience : Intense Upper Ocean Mixing Due to Large Aggregations of Spawning Fish.
Vous pouvez regarder l’intégralité de l’incroyable cérémonie de remise des prix Ig Nobel ci-dessous :
Les précédents lauréats des prix Ig Nobel présentés par le Guru.
Annoncée sur le site d’Improbable Research : The 33rd First Annual Ig Nobel Prizes.