Pour les chimpanzés aussi, une mauvaise journée de pêche vaut mieux qu’une bonne journée de travail
En 1960, Jane Goodall a vu des chimpanzés (Pan troglodytes) en Tanzanie construire des outils avec de la végétation pour « pêcher » des termites. Ce fut la première preuve que des animaux non humains fabriquaient et utilisaient des outils dans la nature. Bien que de nombreuses études aient été réalisées depuis, on ne sait toujours pas si les chimpanzés pêchent pour un plaisir saisonnier ou s’ils tentent leur chance.
Image d’entête : un chimpanzé reniflant une termitière. (Seth Phillips)
Des chercheurs de l’University College de Londres (UCL) et de l’Université de Californie à Santa Cruz (UCSC) ont décidé d’approfondir la question. Ils ont étudié le lien entre la disponibilité des termites et la pêche des chimpanzés et ils ont découvert que ces insectes sont surtout disponibles au début de la saison des pluies. Malgré la disponibilité d’autres aliments pendant cette période, les chimpanzés choisissent d’attraper des termites.
Selon Vicky Oelse, auteur principal de l’étude et chercheur à l’UCSC :
Bien que nous ne puissions jamais lire dans les pensées d’un chimpanzé, nous pouvons peut-être commencer à nous faire une idée de ses attentes en matière de disponibilité des ressources en analysant les cas dans lesquels ils arrivent aux termitières et les examinent pour déterminer la viabilité de la pêche.
Les chimpanzés comptent sur les termites comme source nutritionnelle essentielle, mais leur espèce de termites préférée (le genre Macrotermes) vit profondément à l’intérieur de monticules robustes ressemblant à des forteresses. Mais de temps en temps, certains termites partent établir de nouvelles colonies, créant ainsi des trous d’envol dans les monticules. Les chimpanzés profitent de ces trous pour les attraper.
Un chimpanzé pêchant des termites. (Seth Phillips)
Dans certains endroits, les chimpanzés pêchent les termites toute l’année. Dans d’autres, la pêche est saisonnière. L’étude de la disponibilité des termites est cruciale pour comprendre la diversité des outils utilisés par les chimpanzés. Dans leur étude, les chercheurs se sont concentrés sur celles qui vivent dans la région de la vallée d’Issa, en Tanzanie, où les saisons humides et sèches sont très distinctes.
Ils ont compilé de nombreuses données météorologiques et utilisé des images de pièges à caméra provenant de 13 termitières pour suivre les schémas de dispersion des termites et l’activité de prédation des chimpanzés sur une grande période. En outre, des essais de pêche aux termites ont été menés dans 14 termitières de la vallée d’Issa entre 2018 et 2022, reproduisant les outils et les techniques utilisés par les chimpanzés.
A partir de l’étude : événements de prédation sur des monticules de Macrotermes observés à l’aide de pièges photographiques. (A) Singes à queue rouge aux côtés de la mangouste à queue touffue, (B) chimpanzé mangeant un alate avec un outil de pêche aux termites à la main, (C) varan des rochers, (D) civette africaine. (S. Phillips et col./ Frontiers in Ecology and Evolution)
Selon Seth Phillips, auteur correspondant de l’étude :
Lorsque j’ai visité la vallée d’Issa pour la première fois, j’ai rapidement appris qu’il était plus difficile de pêcher des termites que ce à quoi je m’attendais. Cela m’a alerté sur l’idée qu’une recherche efficace de ces proies termites pourrait être plus compliquée que ce que les gens estiment généralement.
Sur 1 924 tentatives de pêche aux termites, seules 363 ont été couronnées de succès. Les chercheurs ont constaté qu’ils avaient plus de chances d’extraire des termites à mesure que les précipitations augmentaient, jusqu’à ce qu’il soit tombé 200 millimètres de pluie. Au-delà, la proportion d’essais réussis diminuait. La majorité des termitières étaient les plus actives entre 50 et 200 mm de précipitations cumulées.
Notamment, les vols de dispersion ont eu lieu exclusivement pendant la saison des pluies et ont presque entièrement cessé après avoir atteint 400 mm de précipitations. Les chimpanzés étaient parmi les prédateurs les plus fréquemment observés dans les termitières et arrivaient souvent avec un outil.
Toujours selon Phillips :
Nous sommes en train d’examiner les images des pièges à caméra qui montrent le comportement des chimpanzés dans ces termitières. Nous voulons savoir comment les chimpanzés adaptent leur comportement de recherche en fonction des changements saisonniers. Par exemple, examinent-ils les termitières immédiatement après une pluie, après une longue période de sécheresse ? Ces données pourraient nous apprendre quelque chose d’intéressant.
Si certaines communautés de chimpanzés, comme celles du parc national de Gombe Stream (à 140 km de la vallée d’Issa), exploitent les termites tout au long de l’année, la pêche aux termites y atteint également son apogée au début de la saison des pluies. Ceux qui pêchent tout au long de l’année bénéficient peut-être d’un sol plus meuble ou d’outils plus efficaces, ce qui, selon les chercheurs, ne fonctionnerait pas dans la vallée d’Issa.
Selon l’étude :
La saisonnalité de la pêche aux termites dans la vallée d’Issa est probablement déterminée en grande partie par l’écologie reproductive saisonnière des Macrotermes, qui est à son tour déterminée par des facteurs météorologiques, en particulier les précipitations cumulées.
Les chercheurs suggèrent une « interaction dynamique » entre les précipitations, la reproduction des termites, l’utilisation d’outils par les chimpanzés et les événements de prédation.
L’étude publiée dans la revue Frontiers in Ecology and Evolution : A chimpanzee’s time to feast: seasonality of Macrotermes flight hole activity and alate dispersal flights detected by termite-fishing experiments and camera traps in the Issa Valley, Tanzania et présentée sur le site de l’Université de Californie à Santa Cruz : Fishing chimpanzees found to enjoy termites as a seasonal treat.