La COVID et le cerveau : inflammation ou infection ?
La raison des symptômes neurologiques est peut-être une des questions les plus débattues au sujet de la COVID. Depuis l’apparition du SRAS-CoV-2 fin 2019, le virus est connu pour ses effets inédits sur le cerveau : extrême fatigue, anomalies cognitives, perte de l’odorat et du goût et brouillard cérébral. Mais comment provoque-t-il exactement ces symptômes ?
(Image d’entête par Miles Fujimoto/ College of Science)
Deux hypothèses ont rapidement émergé. Une théorie suggère que ces problèmes neurologiques sont dus à l’infiltration directe du virus dans le cerveau et à l’infection des cellules cérébrales. Ce processus détruirait les neurones et la réaction inflammatoire de l’organisme causerait encore plus de dégâts. L’autre hypothèse soutient que l’inflammation systémique secondaire est à l’origine de ces symptômes neurologiques. Le virus n’endommageait pas directement le cerveau, mais la réponse immunitaire excessive de l’organisme à l’infection serait à l’origine des problèmes.
Depuis, des éléments probants sont venus étayer ces deux idées. Des études animales et cellulaires, par exemple, ont clairement démontré que le virus peut hypothétiquement infecter les cellules cérébrales. Bien entendu, il est pratiquement impossible de prouver que cela se produit chez l’humain, puisqu’il n’est pas possible de mettre un cerveau vivant sous un microscope. C’est pourquoi les autopsies ont surtout consisté à rechercher de faibles traces du SRAS-CoV-2 dans des échantillons de tissus. Certaines études ont réussi à détecter des signes du virus dans le cerveau, mais ces résultats n’ont pas été suffisants pour conclure que le SRAS-CoV-2 infecte réellement les cellules neuronales.
À ce jour, l’hypothèse de l’inflammation est un peu plus convaincante. Quatre ans après le début de la pandémie, il est clair que la COVID est nocive pour le cerveau et plusieurs études ont effectivement établi des signes d’importantes lésions liées à l’inflammation. Mais là encore, des questions se posent sur ce qui déclenche ces lésions inflammatoires.
Une nouvelle étude, réalisée par une équipe de chercheurs européens dirigée par des scientifiques de l’université libre de Berlin, a décidé de s’attaquer au mystère de l’effet de la COVID sur le cerveau en commençant par le commencement. Ils ont d’abord examiné de près des échantillons de tissus cérébraux provenant de 21 personnes décédées à la suite d’infections graves par COVID.
Comme dans les études précédentes, des traces de SARS-CoV-2 ont été trouvées dans les échantillons de tissus cérébraux, mais les chercheurs n’ont pu détecter de signe d’infection directe des neurones.
Selon Helena Radbruch, coauteure de l’étude(lien plus bas) :
Nous supposons que les cellules immunitaires ont absorbé le virus dans le corps et qu’elles ont ensuite voyagé jusqu’au cerveau. Elles sont toujours porteuses du virus, mais celui-ci n’infecte pas les cellules du cerveau. Le coronavirus a donc envahi d’autres cellules de l’organisme, mais pas le cerveau lui-même.
En se concentrant sur les effets moléculaires spécifiques de la COVID, les chercheurs ont détecté des changements majeurs dans les cellules du noyau du nerf crânien. Il s’agit des neurones du tronc cérébral, qui remontent vers le cerveau en passant par le cou et le visage. Les résultats suggèrent que les réactions inflammatoires localisées déclenchées par la COVID ont ensuite activé ces voies de communication vers le cerveau, provoquant les symptômes neurologiques que nous associons à la maladie.
Coupe transversale du tronc cérébral : Les neurones (bleu-gris) sont en contact avec les cellules immunitaires (violet). Les structures bleues filiformes sont des prolongements des neurones, qui peuvent atteindre des organes éloignés sous forme de fibres nerveuses. Selon l’étude, les cellules immunitaires et les neurones du tronc cérébral peuvent être activés directement par les fibres nerveuses en cas d’inflammation dans les poumons. (Jenny Meinhardt/ Université libre de Berlin)
Selonj Radbruch :
Pour simplifier, nous interprétons nos données comme suit : le nerf vague « détecte » la réaction inflammatoire dans différents organes du corps et y réagit dans le tronc cérébral, sans qu’il y ait d’infection réelle des tissus cérébraux. Grâce à ce mécanisme, l’inflammation se propage du corps vers le cerveau, ce qui peut perturber les fonctions cérébrales.
La nature limitée de cette recherche ne permet pas de savoir si ces marqueurs inflammatoires expliquent les symptômes à long terme observés chez les patients atteints de COVID depuis longtemps. En examinant une cohorte comparative de patients décédés quelque temps après leur maladie aiguë, les chercheurs ont constaté que bon nombre de ces biomarqueurs étaient revenus à la normale. Toutefois, des travaux supplémentaires chez les patients atteints de COVID de longue durée seront nécessaires pour déterminer si cette cascade inflammatoire persiste chez les quelques personnes présentant des symptômes persistants.
Selon Christian Conrad, un autre coauteur de l’étude :
Nous pensons qu’il est possible que si l’inflammation devient chronique, elle puisse être à l’origine des symptômes neurologiques souvent observés dans la COVID long chez certaines personnes. Pour donner suite à ce soupçon, l’équipe de chercheurs prévoit maintenant d’étudier plus en détail les signatures moléculaires dans le liquide cérébral des patients atteints de COVID long.
L’étude publiée dans Nature Neuroscience : Proteomic and transcriptomic profiling of brainstem, cerebellum and olfactory tissues in early- and late-phase COVID-19 et présentée sur le site de l’Université libre de Berlin : Neurological symptoms apparently not a result of SARS-CoV-2 infection of the brain.