Apparemment, les néanderthaliens d’Europe savaient coller leurs outils
Il y a plus de 100 000 ans, les Néandertaliens collaient des manches sur leurs outils, ce qui pourrait expliquer que l’espèce soit encore plus intelligente qu’on ne le pensait jusqu’à présent. C’est ce que révèle une nouvelle étude qui a mis en évidence l’utilisation d’adhésifs sur d’anciens outils en pierre jusque-là ignorés.
Image d’entête : les scientifiques ont créé leur propre outil préhistorique pour tester le rapport entre le bitume et l’ocre utilisés sur les outils néandertaliens. (Patrick Schmidt/ Université de Tübingen)
Cette découverte est le fruit de l’examen, par une équipe de chercheurs, d’outils en pierre conservés et largement oubliés depuis les années 1960 au musée de Préhistoire et de Protohistoire de Berlin. Le fait que les outils aient été bien conservés a permis aux chercheurs de trouver des traces de bitume sur les outils lorsqu’ils les ont examinés. Le bitume est une substance collante utilisée dans l’asphalte. Il peut être fabriqué à partir de pétrole brut, mais on le trouve aussi à l’état naturel dans le sol.
L’emplacement des résidus de bitume a conduit les chercheurs à penser que la substance formait un manche qui aurait rendu les outils plus faciles à tenir et à utiliser.
Selon Radu Iovita, professeur associé au Centre d’étude des origines humaines de l’université de New York et coauteur d’une étude détaillant la découverte (lien plus bas) :
Les outils présentaient deux types d’usures microscopiques : l’une est le polissage typique sur les arêtes tranchantes qui est généralement causé par le travail d’autres matériaux. L’autre est un poli brillant réparti sur toute la partie présumée tenue à la main, mais pas ailleurs, que nous avons interprété comme le résultat de l’abrasion de l’ocre due au mouvement de l’outil à l’intérieur de la poigné.
A partir de l’étude : micrographies présentant des traces d’usures sur un outil utilisé par les Néandertaliens au cours du Paléolithique moyen. L’emplacement des micrographies sur l’artefact est indiqué en rouge dans le dessin (en haut à gauche). a) Polissage, ou lustre, sur le bord actif du manche de l’outil. b) Polissage sous les taches de colorant dans la zone couverte par l’adhésif. c) Arête entre les surfaces concaves formée par l’enlèvement de morceaux de pierre qui ont été enlevés – plutôt qu’usés naturellement. d) Arête émoussée ou usée dans la zone de préhension qui a été couverte par l’adhésif. Une comparaison entre (c) et (d) indique que la partie usée se trouve dans la zone couverte par l’adhésif. Les images sont exprimées en microns. (Dessin de D. Greinert, Staatliche Museen zu Berlin/ P. Schmidt et col., Science Advances)
Pour réussir à utiliser le bitume, les chercheurs ont également découvert que les concepteurs des outils devaient le mélanger à de l’ocre, un pigment naturel. Le mélange exact d’ocre et de bitume, qu’ils ont trouvé en préparant leurs propres concoctions de bitume et d’ocre, convenait parfaitement à la fabrication de poignées qui pouvaient adhérer aux tessons de pierre, mais pas aux mains humaines. En d’autres termes, il s’agissait de poignées parfaites. Selon les chercheurs, le fait d’arriver à ce mélange et de l’appliquer à des outils témoigne d’un niveau élevé de raisonnement cognitif chez les Néandertaliens.
Bitume liquide et ocre avant le mélange. (Patrick Schmidt/ Université de Tübingen)
Selon Iovita :
Ces outils étonnamment bien conservés présentent une solution technique largement similaire aux exemples d’outils fabriqués par les premiers hommes modernes en Afrique, mais la recette exacte reflète une ‘pirouette’ néandertalienne, à savoir la production de poignées pour les outils à main.
Dans leur étude, les chercheurs affirment que « les anciens adhésifs utilisés dans les outils à composants multiples peuvent figurer parmi nos meilleures preuves matérielles de l’évolution culturelle et des processus cognitifs chez les premiers hommes », mais une étude réalisée il y a quelques années mettait en doute l’utilisation d’adhésifs chez les Néandertaliens. Cette dernière, réalisée par des chercheurs de l’Université de New York et de l’Université de Tübingen, indique qu’il aurait été relativement facile pour cette espèce d’obtenir le goudron des arbres qu’ils utilisaient sur certains de leurs outils. Cette conclusion va à l’encontre d’idées selon lesquelles l’obtention du goudron des arbres était un processus complexe faisant appel à un raisonnement plus poussé.
La nouvelle étude, réalisée par certains des mêmes chercheurs dans les mêmes institutions, semble renverser quelque peu la vapeur en affirmant que le fait de trouver le bon mélange d’ocre et de bitume indique effectivement un certain degré d’intelligence chez nos anciens cousins.
Selon l’auteur principal de l’étude, Patrick Schmidt, de l’université de Tübingen (Allemagne) :
Les adhésifs composés sont considérés comme l’une des premières expressions des processus cognitifs modernes qui sont encore actifs aujourd’hui.
Schmit a ajouté qu’indépendamment de ce qu’elle révèle sur les Néandertaliens, cette découverte permet aux chercheurs de continuer à établir des comparaisons entre notre espèce et la leur, ajoutant que :
Notre étude montre que les premiers Homo sapiens d’Afrique et les Néandertaliens d’Europe présentaient des similitudes dans leurs modes de pensée. Leurs technologies de collage ont la même signification pour notre compréhension de l’évolution humaine.
L’étude publiée dans Science Advances : Ochre-based compound adhesives at the Mousterian type-site document complex cognition and high investment et présentée sur le site de l’Université de New York : Did Neanderthals Use Glue? Researchers Find Evidence that Sticks.