Les bourdons et les chimpanzés prouvent que les humains ne sont pas les seuls à transmettre leurs compétences
Les scientifiques admettent depuis longtemps l’existence d’une transmission/ culture animale, qu’il s’agisse de l’utilisation d’outils chez les corbeaux de Nouvelle-Calédonie ou du nettoyage de patates douces par les macaques japonais. Personne n’aurait pu diviser l’atome ou voyager dans l’espace sans s’appuyer sur des années de progrès itératifs. Or, deux équipes de chercheurs, indépendantes l’une de l’autre dans deux études publiées récemment, pensent avoir observé ce phénomène pour la première fois en dehors de l’humain, chez les bourdons et les chimpanzés.
Image d’entête, à partir de l’étude : une abeille expérimentée, associée à une abeille observatrice qui doit apprendre la solution complète, examine la cible inaccessible d’une boîte à casse-tête fermée. (Université Queen Mary de Londres)
La transmission du savoir chez les bourdons
De précédentes recherches menées par Alice Bridges, de l’université Queen Mary de Londres, suggéraient que les bourdons pouvaient se montrer mutuellement comment ouvrir un casse-tête à levier afin d’accéder à une friandise sucrée. Et ils préféraient la solution apprise par leurs congénères à celle qu’ils avaient trouvée seuls, comme si cette technique était une tendance culturelle.
Aujourd’hui, Bridges a mis les bourdons au défi de résoudre un casse-tête plus difficile, en leur demandant de manœuvrer successivement un levier bleu, puis un levier rouge. Aucune abeille de trois colonies différentes n’a réussi à trouver la solution, même après 12 à 14 jours d’essais.
A partir de l’étude : conception d’une boîte à casse-tête en deux étapes et dispositif expérimental. Les bases des boîtes ont été imprimées en 3D pour garantir la cohérence. La récompense (solution de saccharose à 50 % p/p, placée sur une cible jaune) était inaccessible à moins de pousser la languette rouge, ce qui faisait tourner le couvercle dans le sens inverse des aiguilles d’une montre autour d’un axe central, et la languette rouge ne pouvait se déplacer que si la languette bleue était d’abord poussée en dehors de sa trajectoire. (A. Bridges et col./ Nature)
Les chercheurs ont ensuite enseigné le fonctionnement du levier à 9 bourdons, mais la formation fut si difficile que les bourdons ont d’abord refusé de participer, explique Bridges, jusqu’à ce que les humains leur offrent des récompenses sucrées supplémentaires en cours de route. Lorsqu’elles ont été réintroduites dans la colonie, les bourdons qualifiés ont transmis leurs nouvelles connaissances à cinq autres bourdons qui n’avaient jamais vu la boîte.
Auparavant, il y avait peu de preuves que les animaux non humains pouvaient avoir une culture cumulative, définie comme la capacité d’apprendre des autres des compétences qu’ils n’auraient pas pu acquérir au cours d’une vie de tâtonnements indépendants. C’est cette capacité qui a permis aux humains de créer des systèmes de connaissances complexes tels que la médecine moderne.
Ces résultats « jettent un sérieux doute sur cette supposée exceptionnalité humaine », écrit Alex Thornton, de l’université d’Exeter (Royaume-Uni), dans un commentaire sur cette étude. Toutefois, Elisa Bandini, de l’université de Zurich, estime qu’il ne faut pas encore faire l’éloge de la culture cumulative des abeilles. Elle n’est pas convaincue que cette expérience montre un comportement si complexe que les abeilles ne pourraient pas le développer seules : si les abeilles non formées avaient reçu une récompense supplémentaire comme les abeilles formées, elles auraient peut-être résolu l’énigme seules.
L’étude publiée dans Nature : Bumblebees socially learn behaviour too complex to innovate alone et présentée sur le site de la Queen Mary University of London : Bees master complex tasks through social interaction.
La culture cumulative chez les chimpanzés
Les chimpanzés, nos plus proches parents vivants, semblent également disposer de ce talent, selon une étude distincte publiée cette semaine (lien plus bas).
Image ci-dessus, à partir de l’étude : une femelle chimpanzé et son petit tentant de résoudre la boite casse-tête lors des expériences. (E. van Leeuwen et col./ Nature Human Behaviour)
Pour une troupe de chimpanzés semi-sauvages de l’orphelinat Chimfunshi Wildlife Orphanage en Zambie, la boîte à casse-tête était un peu plus difficile. Il s’agissait de récupérer une boule en bois, d’ouvrir un tiroir, d’y insérer la boule et de le refermer pour libérer la cacahuète.
Pendant 3 mois, 66 chimpanzés ont tenté de résoudre l’énigme, sans succès. L’équipe de chercheurs néerlandais a ensuite formé deux chimpanzés démonstrateurs pour qu’ils montrent aux autres comment procéder. Au bout de deux mois, 14 chimpanzés « naïfs » l’avaient maîtrisé. Et plus les chimpanzés observaient les démonstrateurs, plus ils apprenaient rapidement à résoudre le problème.
Selon Bridges, ces études « ne peuvent que remettre fondamentalement en question l’idée selon laquelle la culture cumulative est une capacité extrêmement complexe et rare dont seules les espèces les plus « intelligentes », comme l’humain, sont capables ».
Pour Thornton, cette recherche montre une fois de plus comment « les gens surestiment habituellement leurs capacités par rapport à celles des autres animaux ».
L’étude publiée dans Nature Human Behaviour : Chimpanzees use social information to acquire a skill they fail to innovate et présentée sur le site de l’Université d’Utrecht : Chimpanzees are able to learn from their conspecifics what they cannot innovate themselves.