Conscience de soi : une nouvelle fois, des macaques ont appris à passer le test du miroir
Les humains, les grands singes, les orques, les dauphins, les éléphants d’Asie et les pies d’Eurasie ont en commun le fait de pouvoir se reconnaitre dans un miroir, contrairement à tous les autres animaux étudiés. Mais des neuroscientifiques affirment maintenant et une nouvelle fois* que les macaques rhésus devraient adhérer à ce club exclusif des êtres vivants qui ont conscience d’eux-mêmes, à condition qu’ils soient formés.
Tout en commençant à décrire cette étude, votre Guru se dit : “il me semble déjà avoir vu ça quelque part…” et effectivement, après avoir fouillé dans ses archives il retrouva une étude similaire, datant de 2015, réalisée par la même équipe avec une méthode légèrement différente et qui ont amené aux mêmes conclusions et le Guru déteste se répéter… tant pis, ne gâchons pas les quelques heures déjà passées à l’analyser.
Précédemment : Sur les macaques formés pour se reconnaitre dans un miroir.
Dans une nouvelle étude, une équipe de recherche de l’Institut des neurosciences à l’Académie chinoise des sciences affirme que, avec la formation appropriée, il est possible que les singes rhésus se reconnaissent soudainement dans un miroir, une capacité qui est normalement absente chez cette espèce.
Cela suggère que les singes possèdent un certain degré de conscience corporelle, même s’ils n’ont pas la capacité innée de se reconnaitre spontanément dans leur reflet. La nouvelle recherche souligne également l’insuffisance du test du miroir classique en tant que mesure de la conscience de soi chez certaines espèces et qu’elle pourrait être plus fréquente chez les animaux qu’il ne l’était estimée.
Quand les scientifiques parlent de conscience de soi, ils se réfèrent à la capacité d’introspection, ainsi qu’à la capacité de se reconnaitre comme étant un individu séparé des autres individus. Les humains croient que les autres humains ont aussi une conscience de soi, même si nous ne pouvons pas vraiment le prouver. Étant donné que pratiquement tous les humains prétendent être conscients d’eux même, nous devons y croire sur parole et l’accepter comme un fait (sinon nous serions accusés de solipsisme).
Malheureusement, nous ne pouvons pas affirmer qu’il soit de même pour les animaux non humains, comme ils ne peuvent pas encore nous exprimer leurs états mentaux. Au début des années 1970, dans un effort de surmonter cette limitation, le psychologue Gordon Gallup Jr. a développé le test du miroir, ou MSR pour mirror self-recognition test, afin de tester la conscience de soi chez les animaux non humains. Depuis qu’il est utilisé, quelques animaux seulement, cités dans l’introduction du Guru, ont passé le MSR.
Mais comme le montre cette nouvelle étude, l’incapacité d’un animal à passer le MSR ne signifie pas nécessairement qu’il n’a pas conscience de sa personne. Dans le cas des singes rhésus, cela signifie simplement que ces primates n’ont pas la capacité de s’identifier dans un autre milieu, au moins pas avant d’être formés pour le faire. Sans cela, ils ne peuvent pas passer le test miroir. Ils ont été observés utiliser des miroirs pour enquêter sur leur environnement, mais ils ne peuvent reconnaitre leur reflet.
En s’appuyant sur leur habileté innée à comprendre le concept de réflexion, une équipe de recherche, dirigée par les neuroscientifiques Mu-ming Poo et Neng Gong, a placé des singes devant un miroir et les ont entrainés à toucher la marque lumineuse d’un pointeur laser rouge qui ne pouvait être vu qu’à travers le miroir.
(Liangtang Chang et col./ Institut des neurosciences/ Académie chinoise des sciences/ PNAS 2017)
Finalement, après plusieurs semaines de formation, les chercheurs ont commencé à positionner le laser sur le visage des singes. À ce moment-là, ils ont touché l’endroit sur leur visage marqué par l’emplacement dans le miroir, ce qu’ils n’avaient pas été en mesure de faire avant l’entrainement.
Vidéo tirée de l’étude (Liangtang Chang et col./ Institut des neurosciences/ Académie chinoise des sciences/ PNAS 2017)
En d’autres termes, les singes ont appris, simplement en regardant le miroir, que le point rouge sur le reflet de leur visage était le leur. Cette seule observation ne suffit pas à prouver que les singes sont conscients d’eux-mêmes, ils se sont peut-être confortés à la formation sans pleinement comprendre ce qu’ils faisaient, mais la prochaine partie de l’expérience fut plus révélatrice.
Comme pour la précédente étude , après cet entrainement, les singes ont été en mesure de maintenir leurs nouvelles compétences. Contrairement à leurs congénères non formés, les singes entrainés présentaient des comportements “autodirigés” lorsqu’ils se regardaient dans un miroir, comme d’enquêter sur des parties normalement invisibles de leur corps.
L’un des singes ayant passé l’entrainement et qui découvre/ observe ses parties intimes dans un miroir situé à l’extérieur de la cage. (Liangtang Chang et col./ Institut des neurosciences/ Académie chinoise des sciences/ PNAS 2017)
Ces observations suggèrent que les singes rhésus sont conscients de leur être et qu’ils sont cognitivement capables de passer le test du miroir, mais que quelque chose les empêche d’acquérir cette compétence par eux-mêmes. Avec l’entrainement, il semble qu’une connexion cérébrale s’est faite et qu’elle est commune à d’autres espèces qui passent le test du miroir. A l’avenir, les chercheurs aimeraient déterminer quels sont les circuits du cerveau qui entraine cette connexion. Comme point de départ, ils envisagent de jeter un œil aux neurones miroirs, qui sont une composante importante de l’imitation.
Une autre possibilité suggérée dans cette étude est que le test du miroir est fondamentalement erroné, que ce serait une mauvaise méthode pour mesurer la conscience de soi. En effet, étant donné le peu d’animaux qui passent le MSR, ce test semble avoir ses limites.
Pour les chercheurs, ce test fournit une solide indication de la conscience de soi à un certain niveau, mais le fait d’y échouer ne signifie nullement un manque de conscience de soi. Pour l’instant nous ne pouvons déduire des capacités cognitives qu’en nous basant sur des actions comportementales, parce que nous ne comprenons pas complètement la conscience et la conscience de soi. Nous avons aussi tendance à utiliser des tests qui sont spécifiques aux mesures de l’intelligence humaine et il y a sans doute d’autres façons de tester la conscience de soi.
Pour l’instant, nous devrons nous contenter du test du miroir tout en gardant en tête que la conscience ne se limite pas à un reflet dans un miroir et que certains animaux peuvent posséder des types de conscience que nous n’avons même pas encore imaginés.
L’étude publiée dans The Proceedings of the National Academy of Sciences : Spontaneous expression of mirror self-recognition in monkeys after learning precise visual-proprioceptive association for mirror images.
Pourquoi les pies plutôt que d’autres oiseaux, c’est étonnant !
L’apprentissage à étapes bien choisies est une bonne idée, d’ailleurs des humains peuvent en avoir besoin, par exemple suite à un AVC, il y a une récupération progressive qui parfois coince complètement, ou certains enfants qui coincent dans leurs apprentissages, et un exercice bien choisi peut débloquer d’un coup, par exemple le concept même qu’une trace écrite est susceptible d’être porteuse de sens, s’il est perdu ou non acquis, toute écriture restera un curieux dessin.
Donc là, une trace lumineuse vue dans le miroir, à toucher, sur une zone qui progressivement se rapproche du visage ou du moins du corps… je me demande pourquoi personne n’a encore réussi à entraîner des chien à ça. Faute d’essayer ?
Il y a une expérience très peu coûteuse à faire : proposer le challenge sur des forums d’amateurs de canins !
JML c’est une question pertinente, je me l’étais posée il y a peu, et j’ai trouvé ceci (in english sorry) :
https://animalwise.org/2011/08/16/the-yellow-snow-test-for-self-recognition/
La cognition des chiens (et des espèces proches) les empêcherait de nous révéler leur conscience de soi par la vision, mais une sorte de test analogue faisant appel à l’olfaction a déjà été développé et testé. Apparemment, ça marche !