Forces fondamentales : des physiciens révèlent avec précision la force nucléaire faible d’un proton
Pour la première fois, des scientifiques ont réussi à mesurer la force de l’interaction faible* (force nucléaire faible) opérant entre un seul proton et un seul électron. Cette mesure renforce le modèle standard de la physique des particules et elle est susceptible de réduire les choix dans la recherche continue de nouveaux types de particules et de forces qui n’ont pas encore été découvertes.
*L’interaction faible (ou force nucléaire faible) est l’une des quatre forces fondamentales de la physique à travers lesquelles les particules interagissent les unes avec les autres, avec l’interaction forte (force nucléaire forte), la gravité et l’électromagnétisme. Comparée à la fois à l’électromagnétisme et à la force nucléaire forte, la force nucléaire faible a une intensité beaucoup plus faible, d’où son nom d’interaction faible. La théorie de la force nucléaire faible a été proposée pour la première fois par Enrico Fermi en 1933, et elle était connue à l’époque sous le nom d’interaction de Fermi.
Si l‘interaction faible est difficile à observer directement, son influence se fait sentir dans notre monde. Par exemple, elle déclenche la chaîne de réactions qui alimente le soleil et elle fournit un mécanisme de désintégration radioactive (radioactivité) qui réchauffe partiellement le noyau terrestre et qui permet également aux médecins de détecter les maladies à l’intérieur du corps sans chirurgie.
Lorsque le boson de Higgs a enfin été observé en 2012, il a complété la liste des particules prédites par le modèle standard et a renforcé sa prétention d’être la meilleure description disponible de la physique fondamentale.
Cependant, bien qu’il soit bon, le modèle présente plusieurs défauts bien connus, comme son incapacité à tenir compte de la matière noire, de l’énergie noire, de la gravité et de l’asymétrie matière-antimatière. Cela a amené de nombreux physiciens à suggérer qu’il existe d’autres particules fondamentales qui n’ont pas encore été détectées. Les recherches de ces entités hypothétiques, les leptoquarks par exemple, sont effectuées sur des accélérateurs comme celui du CERN, mais sans succès jusqu’à présent.
Bien sûr, cela ne signifie pas nécessairement que ces particules n’existent pas. Des résultats nuls pourraient également être dus au fait que les accélérateurs ne sont pas assez puissants, que les instruments de détection ne sont pas assez sensibles ou que la force prévue pour la particule manquante passe inaperçue parce que les scientifiques ne cherchent pas au bon endroit.
Cette dernière question peut être abordée d’une autre manière, en faisant des observations ultra-précises des interactions entre les particules connues dans le modèle standard. Les résultats de ces travaux révèlent à leur tour des valeurs possibles de plus en plus limitées pour d’hypothétiques particules supplémentaires, établissant des limites pour des recherches plus ciblées.
C’est l’approche suivie par des dizaines de physiciens d’universités des États-Unis, du Canada, de Croatie et d’Australie, qui forment collectivement la Jefferson Lab Q-weak Collaboration.
Photo et schéma de l’expérience Q-weak. (Jefferson Lab)
Pour parvenir à leurs conclusions, les chercheurs ont dû relever un défi. La charge électrique d’un proton régit la puissance de la force électromagnétique qui agit sur lui et celle-ci est beaucoup, beaucoup plus grande que celle de la faible force nucléaire qui agit entre elle et un électron.
Pour résoudre ce problème, les scientifiques ont mis sur pied une expérience pour mesurer la variation du taux de diffusion de deux types d’électrons : ceux qui tournent parallèlement à sa direction et ceux qui tournent dans la direction opposée, lorsqu’ils rebondissent sur des protons ciblés.
La différence entre ces deux types s’est avérée inférieure à 300 pour chaque milliard d’électrons. A partir de cette asymétrie, les chercheurs ont été en mesure de calculer la force de l’interaction faible avec beaucoup plus de précision, ce qui a donné matière à réflexion aux scientifiques du CERN et d’ailleurs.
Selon Ross Young, coauteur de l’étude à l’université d’Adélaïde (Australie) :
D’après notre compréhension du modèle standard de la physique des particules, la valeur de la faible charge du proton est prédite très précisément théoriquement.
Les nouvelles mesures agissent donc pour tester cette théorie. Si la mesure s’était écartée de la prédiction, ce serait une signature forte pour un nouveau type de force encore inconnue qui agit entre les particules fondamentales.
Étant donné que nous avons trouvé un bon accord avec les attentes théoriques, cela place de nouvelles limites sur les types de nouvelles forces qui peuvent exister dans la nature.
Les résultats de l’expérience correspondent donc à ce à quoi on pourrait s’attendre d’après l’image actuelle de la physique des particules, le modèle standard. La découverte en elle-même n’est donc pas énorme, mais avoir un moyen éprouvé de sonder des interactions qui seraient habituellement cachées dans le brouhaha de forces plus fortes offre aux physiciens un nouvel et précieux outil à leur boîte de procédés analytiques.
L’étude publiée dans Nature : Precision measurement of the weak charge of the proton et présentée sur le site du Jefferson Lab : The Weak Side of the Proton.