Découverte d’une ancienne baleine amphibie à quatre pattes et sabots ayant osé traverser l’Atlantique
L’histoire évolutive des baleines est l’une des plus fascinantes. Leurs ancêtres se sont adaptés à un mode de vie terrestre, puis sont progressivement retournés vers les mers, une adaptation assez improbable. Des paléontologues ont découvert une créature dans cet acte évolutif : ils ont découvert les traces d’un ancêtre de la baleine qui avait des pattes et des sabots. Les chercheurs croient que cette créature inhabituelle a bravé le voyage d’Afrique en Amérique du Sud.
Image d’entête : reconstruction artistique de deux individus de Peregocetus, l’un debout le long de la côte rocheuse du Pérou d’aujourd’hui et l’autre s’attaquant aux poissons sparides. La présence d’une nageoire caudale reste hypothétique. (A. Gennari/ Institut royal des Sciences naturelles de Belgique)
L’histoire évolutionnaire des cétacés (qui comprend les baleines, les dauphins et les marsouins) ressemble à une farce élaborée. Le groupe qui comprend aujourd’hui d’excellents nageurs et le plus grand organisme de l’histoire de notre planète (la baleine bleue) est issu de petites créatures ressemblant à des cerfs avec quatre orteils, chacun se terminant par un petit sabot. Mais les études anatomiques des créatures actuelles et les découvertes paléontologiques ne laissent aucune place à l’interprétation.
Un chaînon manquant particulièrement intéressant trouvé en Inde suggère que les derniers précurseurs des baleines entraient dans l’eau en période de danger mais débarquaient sur la terre ferme pour donner naissance et manger. Peu à peu, ils sont passés des créatures terrestres aux créatures marines. Ils avaient tendance à passer de plus en plus de temps dans un milieu aquatique, mais ils étaient aussi capables de vivre sur terre, tout comme les castors et les loutres moderne.
Il y a 42 millions d’années, alors qu’elle était encore capable de marcher sur terre, une de ces créatures a entrepris un audacieux voyage : de l’Afrique à l’Amérique du Sud. Alors qu’à l’époque, la distance entre ces continents était deux fois plus courtes, c’était quand même un véritable tour de force. Son fossile a maintenant été trouvé dans les plaines côtières du Pérou, qui sont bien connues pour leurs riches dépôts d’anciens fossiles marins. Le fossile offre de nouvelles perspectives sur la façon dont ces créatures étonnantes se sont adaptées à la vie dans l’eau et se sont étendues du sous-continent indien au reste du monde.
Les os du Peregocetus, comprenant la mandibule avec les dents, l’omoplate, les vertèbres, les éléments du sternum, le bassin, les membres antérieurs et postérieurs. (G. Bianucci)
Olivier Lambert, de l’Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique, coauteur de l’étude, en décrit les résultats :
Il s’agit du premier recensement incontestable d’un squelette de baleine quadrupède pour tout l’océan Pacifique, probablement le plus ancien pour les Amériques et le plus complet en dehors de l’Inde et du Pakistan.
La créature récemment découverte, appelée Peregocetus pacificus, remonte à 42,6 millions d’années. Ses pattes postérieures n’étaient qu’un peu plus courtes que ses pattes antérieures et il avait de minuscules sabots sur chaque doigt, ce qui suggère qu’il était tout à fait capable de trotter sur terre. Cependant, d’autres caractéristiques indiquent qu’il était également bien adapté à la vie aquatique. Les os de ses pattes postérieures indiquent que, malgré ses sabots, il avait des palmes. Il arbore également des os de la queue ressemblant à ceux du castor, ce qui indique que cette dernière était bien adaptée à la nage. Ces caractéristiques biologiques, bien adaptées à la vie aquatique et terrestre, indiquent qu’il s’agit d’une créature en transition, ce qui la rend très importante pour comprendre son évolution.
Le squelette montre que la baleine aurait été à l’aise sur terre et dans l’eau. Crédits image : Lambert et coll./ Current Biology)
Selon Travis Park, étudiant l’évolution des cétacés au Natural History Museum :
L’évolution des baleines est peut-être l’exemple le mieux documenté de macro-évolution que nous ayons, le groupe allant des petits mammifères à sabots de la taille d’un chien aux géants de l’océan que nous connaissons et aimons aujourd’hui. Cependant, en dépit d’un bon registre fossile des différents stades impliqués, il reste encore des questions quant aux voies empruntées par les premières baleines lorsqu’elles se sont répandues dans le monde pour la première fois.
Les résultats indiquent également que la dispersion des baleines primitives, bien que régulière, ne fut pas tout à fait directe. Elles sont allées de l’Inde en Afrique du Nord, puis en Amérique du Sud. De là, certains individus (comme celui-ci) ont traversé le continent, tandis que d’autres sont allés en Amérique du Nord. Il a fallu près de 10 millions d’années aux baleines pour coloniser la planète entière.
L’étude publiée dans Current Biology : An Amphibious Whale from the Middle Eocene of Peru Reveals Early South Pacific Dispersal of Quadrupedal Cetaceans et présentée sur le site de l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique : Des cétacés quadrupèdes ont gagné l’Amérique du Sud en nageant comme des loutres.