Comment les félins obtiennent-ils leurs taches et rayures ?
C‘est un mystère qui dure depuis plus de 70 ans, mais aujourd’hui nous pouvons enfin comprendre d’où viennent les taches du léopard et autres félins à la robe tabby, grâce en partie aux travaux effectués il y a plusieurs décennies par l’un des plus grands esprits du Royaume-Uni.
Image d’entête : chat Mau égyptien. (Jean-Michel Labat)
En 1952, Alan Turing, plus connu comme le héros de guerre décripteur de codes qui a finalement été abandonné par le pays qu’il servait, a proposé une théorie ingénieuse sur la façon dont les animaux obtiennent leurs motifs et leurs marques.
Turing a suggéré que les marques sur la fourrure et la peau, qui se développent dans l’embryon, sont le résultat d’une relation systématique entre deux substances en interaction qui s’inhibent et s’activent mutuellement. Lorsque ces substances sont distribuées dans la peau à des concentrations différentes, leurs interactions produisent des motifs ordonnés plutôt que des marques chaotiques, ce que l’on appelle un modèle de réaction-diffusion.
Pour tester cette théorie, une équipe de l’Institut de biotechnologie HudsonAlpha, à Atlanta (États-Unis), a examiné le développement de motifs sur des chats domestiques. L’équipe avait déjà montré que les motifs de couleur chez les chats domestiques apparaissent lorsque des follicules pileux adjacents produisent différents types de pigments de mélanine, mais le processus de développement à l’origine de ces différences restait obscur.
Les molécules activatrices colorent simultanément une cellule proche et déclenchent la production d’inhibiteurs qui se déplacent vers les cellules éloignées et arrêtent la production de pigments.(HudsonAlpha Institute for Biotechnology)
Comme le décrit une étude publiée cette semaine (lien plus bas), les chercheurs, dirigés par Gregory Barsh, ont étudié des échantillons de peau provenant d’embryons de chat à différents stades de développement, et ils ont analysé les gènes de cellules uniques et les protéines présentes dans les échantillons de tissus. Les chercheurs ont découvert qu’une molécule de signalisation exprimée par le gène Dkk4 joue un rôle central dans la réaction-diffusion qui crée les marques différenciées chez les chats tigrés/ tabby.
(a) Une mutation Dkk4 chez le chaton sans collier entraîne une diminution de la taille et de la quantité des marques tabby sombres. (b) Un chat Abyssin avec une mutation Dkk4 qui est associée à une absence apparente de marques tabby. (c) Une vue rapprochée du pelage de l’Abyssin suggère la présence de marques sombres microscopiques (Martin Bahmann)
Fait intéressant, l’équipe a constaté que l’expression du gène Dkk4 dans l’épiderme fœtal (la partie la plus externe de la peau) marquait les zones de la peau fœtale qui donneraient plus tard naissance à des follicules pileux qui produiraient ensuite un pigment plus foncé de façon constante tout au long des cycles successifs de perte de poils. Pour les chercheurs, cela suggère que les cellules de la peau exprimant Dkk4 acquièrent « des changements épigénétiques sensibles au temps qui sont ensuite incorporés dans les follicules pileux ». Ce sont ces changements qui détermineront finalement si la peau sous-jacente produira des poils plus foncés ou plus clairs.
L’équipe a également constaté que la protéine Dkk4 est mutée chez les chats de type tacheté, comme les Abyssins et les Birmans, qui ont moins de marques ou pas de marques évidentes.
Les auteurs pensent que des recherches supplémentaires pourraient révéler le rôle de Dkk4 et ses interactions avec d’autres gènes dans la création des motifs complexes que l’on trouve chez les grands félins, comme les rosettes des jaguars ou les taches aux formes artistiques de l’ocelot.
L’étude publiée dans Nature Communications : Developmental genetics of color pattern establishment in cats et présentée sur le site du HudsonAlpha Institute for Biotechnology : HudsonAlpha researchers discover mechanism of cat fur color pattern establishment.