Des scientifiques produisent une sombre glace chaude censée exister sur d’autres planètes
L‘eau peut prendre bien plus de formes (phases) que ce que l’on croit, et des scientifiques viennent d’en recréer une particulièrement bizarre en laboratoire : une « glace noire chaude » qui pourrait exister dans les profondeurs de planètes comme Uranus et Neptune.
Cette phase de l’eau est connue sous le nom d’eau ou glace superionique et se forme à des températures et des pressions extrêmement élevées, ce qui entraîne la séparation des molécules d’eau en leurs ions hydrogène et oxygène.
Image d’entête : représentation artistique de la précédente tentative de produire de la glace superionique en utilisant des lasers de haute puissance se concentrant sur la surface d’un diamant, générant une séquence d’ondes de choc qui se propagent dans l’ensemble de l’échantillon (de gauche à droite), comprimant et chauffant simultanément l’échantillon d’eau initialement liquide, le forçant à geler dans la phase de glace d’eau superionique. (Millot, Coppari, Hamel, Krauss (LLNL))
Les ions oxygène s’organisent alors en un réseau cubique autour duquel les ions hydrogène se déplacent librement. L’ensemble de ces phénomènes confère à la glace superionique une conductivité relativement élevée, une faible densité et une couleur plus foncée.
Simulation par ordinateur de la nouvelle phase de glace d’eau superionique, illustrant le mouvement aléatoire, de type liquide, des ions hydrogène (en gris, avec quelques uns mis en évidence en rouge) dans un réseau cubique à faces centrées d’ions oxygène (en bleu). (Millot, Coppari, Kowaluk (LLNL))
L’étude de la glace superionique n’a pas été facile. La phase a été théorisée pendant des décennies, et des preuves expérimentales ont commencé à apparaître dans les années 1990, mais ce n’est qu’en 2019 que les scientifiques ont réussi à produire de la glace superionique en laboratoire. Cependant, dans cette expérience, elle n’a duré qu’une fraction de seconde.
Aujourd’hui, des scientifiques de l’Argonne National Laboratory ont réussi à produire de la glace superionique stable, qui dure suffisamment longtemps pour être étudiée plus en détail. Tout d’abord, une pression est appliquée en comprimant un échantillon d’eau dans une cellule à enclume de diamant, puis l’eau est chauffée à l’aide de lasers. Enfin, l’équipe utilise une source de rayons X à haute énergie appelée Advanced Photon Source (APS) pour visualiser l’arrangement des atomes dans l’échantillon, afin de déterminer le type de phase dans lequel se trouve l’eau.
Le dispositif expérimental qui a produit de la glace superionique stable. (Vitali Prakapenka)
Et comme de juste, les études ont montré que l’expérience produisait de la glace superionique. Celle-ci a commencé à apparaître à des températures comprises entre 627 °C et 1 627 °C, et à des pressions de 20 GigaPascals. Il est intéressant de noter qu’il s’agit d’une pression bien inférieure à celle que les modèles avaient prévue pour la formation de cette phase.
Selon Vitali Prakapenka, coauteur de l’étude :
Ce fut une surprise, tout le monde pensait que cette phase n’apparaîtrait pas avant d’être à des pressions beaucoup plus élevées que celles où nous l’avons trouvée pour la première fois. Mais nous avons pu cartographier très précisément les propriétés de cette nouvelle glace, qui constitue une nouvelle phase de la matière, grâce à plusieurs outils puissants.
Produire de la glace superionique en laboratoire est plus qu’une curiosité : l’étudier pourrait nous aider à comprendre comment les planètes se forment et même nous indiquer où chercher de la vie extraterrestre. On pense que ce type de glace se trouve sur des planètes géantes comme Uranus et Neptune, et si c’est le cas, des manteaux de glace superionique pourraient générer les champs magnétiques de ces mondes.
L’équipe précise qu’il reste encore beaucoup de travail à faire pour explorer ce qui caractérise la glace superionique. Des propriétés telles que sa conductivité, sa viscosité et sa stabilité restent obscures, et les choses pourraient changer radicalement lorsqu’elle est mélangée à des sels ou à d’autres minéraux.
L’étude publiée dans Nature Physics : Structure and properties of two superionic ice phases et présentée sur le site de l’Argonne National Laboratory : Scientists find strange black ‘superionic ice’ that could exist inside other planets et sur le site de l’Université de Chicago : Scientists find strange black ‘superionic ice’ that could exist inside other planets.