Dans le sud de la France, des algues microscopiques auraient permis de préserver des fossiles d’araignées vieux de 22,5 millions d’années
Selon une nouvelle étude réalisée par des chercheurs américains, de minuscules créatures connues sous le nom de diatomées pourraient avoir contribué à préserver de rares fossiles d’araignées vieux de plus de 22 millions d’années découverts à Aix-En-Provence (France).
Image d’entête : une araignée fossilisée de la Formation d’Aix-en-Provence en France, vue dans un échantillon prélevé à la main, superposée à une image de microscopie à fluorescence du même fossile. (Olcott et col./ Communications earth & environment)
Les fossiles sont essentiels pour comprendre l’histoire de notre planète, mais certaines choses se fossilisent plus fréquemment que d’autres. Pour comprendre pourquoi, rappelons brièvement comment se forment les fossiles.
Les structures minéralisées comme les os et les dents sont les plus susceptibles d’être fossilisées. Lorsque les animaux meurent, leurs tissus mous sont généralement mangés ou pourrissent, laissant derrière eux les structures minéralisées plus durables. Si un squelette est enterré dans des sédiments, il peut se fossiliser lorsque les minéraux de l’eau souterraine s’infiltrent progressivement dans l’os, se cristallisent et se transforment en pierre ayant exactement la même forme que le squelette. Ce phénomène est connu sous le nom de pétrification, qui signifie littéralement « transformé en pierre ».
Cependant, les arthropodes comme les insectes et les araignées n’ont pas d’os. Ils possèdent plutôt un exosquelette résistant fait d’un polymère carboné appelé chitine, qui est en fait un type de sucre. Ce genre de structure non minéralisée est moins susceptible d’être préservée dans les archives fossiles et nous ne maîtrisons pas aussi bien leur processus de fossilisation que celui des squelettes.
Un endroit où l’on peut trouver de rares fossiles d’arthropodes est une formation géologique près d’Aix-en-Provence, en France. C’est là que les scientifiques qui ont travaillé sur cette nouvelle étude, dirigée par Alison Olcott, de l’université du Kansas, et son étudiant de troisième cycle de l’époque, Matthew Downen, ont trouvé les fossiles d’araignées qui ont conduit à leur nouvelle découverte.
Selon Olcott :
Matt travaillait à la description de ces fossiles et nous avons décidé, plus ou moins sur un coup de tête, de les passer sous le microscope fluorescent pour voir ce qui se passait. À notre grande surprise, ils brillaient, et nous nous sommes donc intéressés de près à la chimie de ces fossiles qui les faisait briller.
Olcott et ses collègues ont découvert que les fossiles d’araignées contenaient un polymère noir fait de carbone et de soufre, et qu’ils étaient entourés et recouverts d’algues microscopiques appelées diatomées. Ces microalgues sécrètent une substance collante appelée polysaccharide extracellulaire, ou EPS pour extracellular polysaccharide.
Toujours selon Olcott :
Ces microalgues fabriquent cette substance gluante et visqueuse, c’est ainsi qu’elles se collent les unes aux autres. J’ai émis l’hypothèse que la chimie de ces microalgues, et la substance qu’elles extrudaient, permettait en fait à cette réaction chimique de préserver les araignées.
Image électronique à balayage d’un abdomen d’araignée fossilisé révélant un polymère noir et la présence de deux types de microalgues : un tapis de diatomées sur le fossile et des dispersées dans la matrice environnante. Cette image est recouverte par des cartes chimiques de soufre (jaune) et de silice (rose) révélant que si les microalgues sont siliceuses, le polymère recouvrant le fossile est riche en soufre. (Olcott et col./ Communications earth & environment)
Les chercheurs ont proposé qu’une réaction chimique entre la chitine de l’exosquelette de l’araignée et le soufre de l’EPS ait permis la préservation des fossiles. Le processus est similaire à la vulcanisation, un traitement industriel qui utilise le soufre et la chaleur pour rendre plus durable le caoutchouc des pneus de voiture et d’autres produits.
La sulfuration prend du carbone et le croise avec du soufre et stabilise le carbone, c’est pourquoi nous le faisons sur le caoutchouc pour qu’il dure plus longtemps. Je pense que ce qui s’est passé ici sur le plan chimique, c’est que l’exosquelette de l’araignée est constitué de chitine, qui est composée de longs polymères avec des unités de carbone proches les unes des autres, et c’est un environnement parfait pour que les ponts de soufre viennent stabiliser les choses.
A partir de l’étude : dessins présentant l’ensemble du processus proposé : l’araignée est entraînée dans le tapis de diatomées planctoniques. Des morceaux du tapis de diatomées, avec ou sans araignée piégée, tombent sur le plancher sédimentaire sur un fond de sédimentation d’autres diatomées et algues (points gris). Avec le temps, ces sédiments sont comprimés et conservés dans les roches. a) Composition chimique de la chitine. b) Les molécules contenant des sulfonates, qui sont communes dans les EPS de diatomées. c) Molécule de chitine après sulfuration. d) Molécule idéalisée représentant un polymère de chitine après une altération diagénétique supplémentaire, qui pourrait entraîner la formation de carbone aromatisé. (Olcott et col./ Communications earth & environment)
La chercheuse souhaite vérifier si ce processus de préservation hypothétique est étayé par des preuves provenant d’autres sites fossiles contenant des diatomées, tout en précisant :
De tous les autres sites exceptionnels de préservation de fossiles dans le monde à l’ère cénozoïque, quelque chose comme 80 % d’entre eux se trouvent associés avec ces microalgues.
Cette nouvelle et intrigante découverte pourrait être l’un des rares aspects positifs de la pandémie de COVID-19. Confinée avec sa famille en 2020, Mme Olcott a dû changer son approche de la recherche.
Je pense honnêtement que cette étude est en partie le résultat de la science de la pandémie. J’ai passé beaucoup de temps avec ces images et ces cartes chimiques et je les ai vraiment explorées d’une manière qui n’aurait probablement pas eu lieu si tous les laboratoires avaient été ouverts et si nous avions pu y aller et faire un travail plus conventionnel.
L’étude publiée dans Communications Earth & Environment : The exceptional preservation of Aix-en-Provence spider fossils could have been facilitated by diatoms et présentée sur le site de l’Université du Kansas : Glowing spider fossils prompt breakthrough study of how they were preserved at Aix-en-Provence.