Des chercheurs chinois produisent les premiers mammifères vivants dotés d’un génome entièrement reconfiguré
Dans un laboratoire de l’Académie chinoise des sciences, une souris sans prétention appelée « Little Bamboo » est, en fait, la première de son espèce, une espèce créée par l’humain. Le génome de cette souris compte 19 paires de chromosomes, soit une de moins que la normale, et tout cela grâce à l’intervention de scientifiques.
Image d’entête : une des souris de laboratoire utilisées dans la recherche. (Qiang Wang)
L’équipe de Pékin a « entièrement recombiné » les gènes de la souris par un processus au cours duquel ses chromosomes ont été décomposés en plusieurs segments, puis reconstitués dans une nouvelle configuration. C’est la première fois qu’un tel processus a été réalisé à l’échelle d’un organisme vivant sans affecter gravement sa capacité de survie. Cela signifie que Little Bamboo est, en fait, le premier individu d’une espèce de rat entièrement nouvelle et créée par l’humain, et le premier mammifère au monde dont les gènes ont été entièrement recombinés.
Selon l’auteur principal, Li Wei, chercheur à l’Institut de zoologie de l’Académie chinoise des sciences à Pékin :
Les génomes des mammifères sont beaucoup plus complexes que ceux de la levure, et les réarrangements chromosomiques complets chez les mammifères sont restés infructueux.
Les chromosomes sont des brins d’ADN condensés, regroupés sous différentes formes, qui aident à maintenir l’ADN en ordre dans le noyau d’une cellule. Ils sont à peu près l’équivalent d’un document numérique compressé, si l’on veut, ce qui permet aux données d’occuper moins d’espace sur le disque dur des cellules.
Ces paquets d’ADN se décomposent et se recombinent naturellement lors de la reproduction sexuée, lorsque des morceaux de chromosomes de chaque parent se lient aux morceaux de chromosomes équivalents de l’autre parent pour former un génome entièrement nouveau qui hérite de parties des deux. Ce processus est très compliqué et délicat, et des erreurs à ce niveau peuvent causer de nombreux problèmes à la progéniture concernée. Les chercheurs ont essayé d’interférer avec ce processus afin d’aider à corriger ces erreurs lorsqu’elles se produisent, mais les résultats furent extrêmement limités et les résultats obtenus ne concernaient que des organismes unicellulaires comme la levure.
Mais l’étude actuelle montre que ce genre d’interventions peut être réalisé, même dans des organismes vivants, ouvrant la voie à la biologie synthétique pour aborder toute une série de nouvelles expériences.
Pour cette étude, Li et ses collègues ont utilisé l’outil d’édition génétique CRISPR–Cas9. Il s’agit d’un outil basé sur les processus naturels de modification des gènes, qui agit comme des ciseaux et de la colle, permettant aux chercheurs de couper des brins d’ADN dans des zones spécifiques et d’y ajouter de nouveaux morceaux, avant de recoller le tout. Ils ont utilisé CRISPR pour manipuler les chromosomes contenus dans une cellule souche reproductrice unique, la souris, qu’ils ont créée spécifiquement pour cette expérience.
Les précédentes tentatives de l’équipe ont abouti à ces erreurs de recombinaison mentionnées plus haut. Les problèmes sont apparus lorsqu’ils ont essayé de recoller deux très longs morceaux de chromosomes, qui ne se fixaient pas parfaitement. Ces cellules se développaient alors en spécimens anormaux, déformés ou présentant des comportements étranges, voire empêchaient carrément la viabilité des animaux, entraînant leur mort.
Leur réponse a été d’utiliser des séquences chromosomiques plus courtes et de réduire le nombre total de chromosomes à 19 paires, soit une de moins que les souris en possèdent naturellement. Grâce à cette approche, ils ont réussi à créer une nouvelle espèce qui, bien que ses cellules contiennent un ensemble de chromosomes complètement différent de celui des souris naturelles, semble être en parfaite santé et présenter un comportement normal.
Les souris recombinées ont ensuite été autorisées à s’accoupler avec des animaux non modifiés, ce qui a donné lieu à des grossesses réussies, bien qu’à un taux relativement faible. La progéniture de ces paires contenait les chromosomes manipulés de leurs parents, montrant ainsi que les effets d’une telle édition de gènes peuvent se prolonger à travers les générations.
Selon Li :
Cela signifie que, pour la première fois au monde, nous avons réalisé un réarrangement chromosomique complet chez des mammifères, réalisant ainsi une nouvelle percée en biologie synthétique. Cette recherche est une percée dans la technologie de la bio-ingénierie, qui aide à comprendre l’impact du remodelage à grande échelle des chromosomes des mammifères, et à mieux comprendre les mécanismes moléculaires qui sous-tendent la croissance et le développement, l’évolution de la reproduction, et même la création d’une espèce.
En raison de la capacité observée à conserver les gènes d’une génération à l’autre, l’équipe est convaincue que son approche pourrait aider les chercheurs à étudier comment la génétique influence des conditions telles que l’infertilité ou les cancers, et comment elles pourraient être traitées.
Bien que l’expérience ait été approuvée par le comité d’éthique de la recherche de l’Académie chinoise des sciences, l’utilisation de CRISPR sur des embryons humains est actuellement strictement interdite en Chine, de sorte que l’équipe a pris de nombreuses mesures dans ce sens.
L’étude publiée dans Science : A sustainable mouse karyotype created by programmed chromosome fusion et présentée sur le site de l’Académie chinoise des sciences : Scientists Engineer First Mammal with Whole Chromosome Rearrangements.