Des scientifiques modifient le gène d’une plante quelconque afin qu’elle produise de la cocaïne
La cocaïne est l’une des drogues d’origine végétale les plus utilisées (et abusées) au monde. Mais même avant que la cocaïne n’atteigne son apogée dans la culture américaine des années 1980, les indigènes qui occupaient les territoires actuels de la Bolivie, du Pérou et de la Colombie utilisaient la plante de coca comme médicament depuis plus de 8 000 ans, mâchant les feuilles pour améliorer l’humeur, supprimer l’appétit ou comme anesthésiant.
Image d’entête : feuille de coca (Érythroxylacées) en Bolivie. (Marcello Casal Jr./ABr – Agência Brasil)
Mais malgré le large attrait de cette drogue, les scientifiques ne savent toujours pas comment cet alcaloïde tropanique complexe est produit dans la plante de coca. À cet égard, une nouvelle étude publiée récemment (lien plus bas) est particulièrement révélatrice.
Des chercheurs de l’Académie chinoise des sciences ont non seulement identifié deux enzymes manquantes pour la biosynthèse du squelette tropanique de la cocaïne, mais ils ont également inséré les gènes correspondants qui expriment ces enzymes dans la plante Nicotiana benthamiana, une proche parent de la plante de tabac originaire d’Australie.
Sheng-Xiong Huang de l’Institut de botanique de Kunming en Chine et ses collègues ont découvert que deux enzymes essentielles, EnCYP81AN15 et EnMT4, sont fondamentales pour la voie chimique essentielle qu’utilise l’Erythroxylum novogranatense (la plante de coca) pour fabriquer la cocaïne.
Les alcaloïdes de type tropane comme la cocaïne sont principalement produits par deux familles de plantes : les Solanacées (parents de la tomate, du tabac et de la pomme de terre) et les Érythroxylacées (coca). Ces composés chimiques très complexes sont très prisés par l’industrie pharmaceutique en raison de leurs propriétés anticholinergiques qui inhibent les actions appelées impulsions nerveuses parasympathiques. Le blocage des signaux d’acétylcholine peut diminuer les mouvements musculaires involontaires, la digestion et la sécrétion de mucus. Et comme les alcaloïdes du tropane servent également de composés principaux pour générer des médicaments plus efficaces, ils figurent sur la liste des médicaments essentiels de l’Organisation mondiale de la santé.
Mais bien que la biosynthèse de l’alcaloïde tropane apparenté, l’atropine, à partir de la belladone (Solanaceae) soit bien établie, on n’en sait pas assez sur la formation de la cocaïne. Huang et ses collègues ont donc cherché à combler les lacunes et ils ont supposé que les principales étapes manquantes de la biosynthèse de la cocaïne étaient accomplies par les enzymes EnCYP81AN15 et EnMT4.
Pour valider leur hypothèse, les chercheurs ont parcouru les bases de données génétiques à la recherche de candidats (génétiques) correspondant le mieux à l’expression des protéines fonctionnelles de ces enzymes. Ils ont ensuite modifié génétiquement la N. benthamiana en ajoutant deux gènes nouvellement identifiés, ainsi que quatre gènes déjà connus.
Résumé graphique de l’étude. (Yong-Jiang Wang et col./ Journal of the American Chemical Society)
Une fois que ces plants de tabac génétiquement modifiés ont atteint la maturité, les chercheurs ont été stupéfaits de trouver 400 nanogrammes de cocaïne par milligramme de feuille séchée. Cela représente environ 25 % de la quantité trouvée dans la plante de coca naturelle. De plus, les chercheurs précisent que cette voie chimique n’est pas limitée à la N. benthamiana. En théorie, ils pourraient ajouter ces gènes à des micro-organismes à taux de croissance élevé, comme la bactérie Escherichia coli et la levure Saccharomyces cerevisiae, pour produire des alcaloïdes de tropane en quantités industrielles dans des réservoirs de bioréacteurs.
Selon les chercheurs :
Cette étude non seulement rapporte une voie de biosynthèse quasi complète de la cocaïne et fournit de nouvelles informations sur les réseaux métaboliques des alcaloïdes de tropane (cocaïne et hyoscyamine) dans les plantes, mais permet également la synthèse hétérologue des alcaloïdes de tropane dans d’autres (micro-)organismes, ce qui a des implications importantes pour la production pharmaceutique.
L’étude publiée dans le Journal of the American Chemical Society : Discovery and Engineering of the Cocaine Biosynthetic Pathway.