Tabou du clitoris : et oui, les serpents en ont aussi !
Les chercheurs accordent beaucoup d’attention aux pénis, historiquement parlant. C’est particulièrement vrai chez les serpents, car les scientifiques en savent long sur les organes reproducteurs mâles de ces animaux, mais relativement peu sur ceux des femelles, notamment le clitoris. Cela a conduit certains scientifiques à conclure que cette structure n’a pas grand-chose à voir avec l’accouplement chez les espèces de serpents, et certains doutaient même de son existence.
Image d’entête : une vipère de la mort (Acanthophis antarcticus), une des espèces étudiées ici. (M.J. Folwell et col./Proceedings of the Royal Society B)
Une étude publiée cette semaine (lien plus bas) remet les pendules à l’heure : non seulement le clitoris des serpents existe, mais il pourrait également jouer un rôle important dans la reproduction. Des chercheurs de l’Université d’Adélaïde (Australie) ont, pour la première fois, décrit la diversité frappante des hémiclitoris des serpents chez neuf espèces. Ce faisant, ils ont apporté la preuve que cette structure est répandue chez les serpents et qu’elle a probablement une fonction vitale. Cette étude vient s’ajouter à la pile croissante de preuves que le clitoris n’est probablement pas moins important que le pénis lorsqu’il s’agit de copulation dans le règne animal.
Depuis les débuts de ce domaine de recherche dans les années 1800, les chercheurs ont passé deux siècles à étudier et à documenter la remarquable diversité des pénis des serpents et des lézards, appelés en fait hémipénis en raison du fait qu’ils possèdent deux pénis reliés par une structure ramifiée.
En revanche, le sujet des organes reproducteurs femelles, même chez les serpents, a longtemps été considéré comme « tabou », explique Megan Folwell, étudiante diplômée de l’université d’Adélaïde et coauteur de l’étude. Les hémiclitoris femelles des reptiles, dont on pense qu’elles dérivent du même organe ancestral que les hémipénis des animaux et qu’elles se présentent également sous la forme de paires, n’ont été décrites chez les lézards qu’en 1995, et depuis lors, il n’y a eu que quelques études sur le sujet, précise t’elle. L’intérêt des chercheurs pour les hémipénis a influencé leurs conclusions sur le sexe et la reproduction des serpents. Les scientifiques supposaient que le clitoris était vestigial ou même perdu chez certaines espèces de reptiles à écailles.
Folwell, étudiante diplômée dans le laboratoire de la biologiste Kate Sander à l’université d’Adélaïde, étudiait la morphologie des hémipénis des serpents lorsqu’elle a réalisé le peu de connaissances des biologistes sur les hémiclitoris. Elle a également noté des incohérences dans la littérature scientifique existante sur ce qui constitue les hémiclitoris, certaines études semblant mal nommer les organes. Dans certaines études, les glandes odorantes, également situées sur la face ventrale du serpent, près de l’extrémité de la queue (juste en dessous des hémipénis chez les mâles), ont été désignées comme étant les hémiclitoris. Dans d’autres cas, des structures semblables aux hémipénis chez les serpents hermaphrodites avaient également été baptisées hémiclitoris. Dans une étude publiée pus tôt cette année, Folwell et ses coauteurs ont conclu que, sur la base de ces interprétations, personne n’avait jamais vraiment effectué une véritable étude comparative des organes sexuels des serpents.
Pour dissiper cette confusion, Folwell et une équipe de chercheurs ont donc procédé à un examen plus approfondi. Ils ont commencé par disséquer des vipères de la mort (Acanthophis antarcticus) qu’ils avaient déjà au laboratoire. La dissection s’est déroulée en trois étapes : ouverture de l’abdomen, dissection minutieuse des glandes odorantes et découpe d’une fine couche de muscle. Folwell raconte que la première fois qu’elle a effectué cette dissection, elle a vu les structures qu’elle avait identifiées comme étant clairement des hémiclitoris.
Elle a ensuite étudié la structure de l’organe. Elle a coloré l’hémiclitoris présumé avec des colorants qui mettent en évidence de manière sélective la vascularisation, les nerfs et les tissus érectiles, et a fait de même avec les hémipénis de serpents de même âge. Chez les femelles, la structure était très vascularisée, ce qui correspond aux résultats obtenus chez d’autres reptiles et mammifères. Et comme les hémipénis, les hémiclitoris étaient très innervés. Cependant, contrairement aux hémipénis, les hémiclitoris ne contenaient pas de fibres musculaires et ils étaient composés uniquement de collagène.
Folwell a également créé un modèle 3D de l’organe en utilisant une forme de tomographie à base d’iode (DiceCT) qui lui a permis de visualiser de fines coupes transversales de tissus de serpent. Elle a ainsi pu voir en détail la forme et la taille de l’ensemble de la structure.
A partir de l’étude : (a) une vipère de la mort (Acanthophis antarcticus). (b) Une microtomographie aux rayons X montre l’emplacement de l’hémiclitoris chez la vipère de la mort. Il s’agit d’une petite région triangulaire rose à la base de la queue du serpent. Une vue disséquée de cette région (à droite) montre l’anatomie génitale du serpent (CL = le cloaque, une chambre partagée pour les organes reproducteurs et l’élimination des déchets, SG = glandes odorantes, HC = hémiclitoris). (M.J. Folwell et col./Proceedings of the Royal Society B)
Avec son équipe, elle a effectué cette procédure sur neuf espèces de serpents appartenant à quatre familles, et elle a constaté qu’il existait une énorme variation dans la taille, la forme et la composition tissulaire de l’organe. Folwell indique que des pressions sélectives ont probablement façonné les organes génitaux des serpents.
Si les hémiclitoris des serpents ont probablement une fonction, elle reste obscure, pour l’instant. Folwell a cependant quelques hypothèses : chez de nombreux autres animaux, le clitoris « envoie un signal au cerveau pour commencer à préparer le corps à la copulation », et il pourrait en être de même chez les serpents. De nombreux hémipénis de serpents ressemblent à des « engins médiévaux », couverts de tout, des pointes aux ventouses en passant par des crochets. Par conséquent, la stimulation hémiclitorale pourrait favoriser la lubrification et la relaxation du vagin, explique Folwell, afin d’éviter tout traumatisme ou dommage après le processus d’accouplement.
L’étude pourrait également avoir des répercussions sur la façon dont les serpents choisissent leurs partenaires. Chez de nombreuses espèces de serpents, les scientifiques pensent que l’accouplement se fait principalement par la coercition, par la contrainte. Mais cette étude suggère que cela pourrait plutôt se faire par « séduction ».
Maintenant, Folwell aimerait en savoir plus sur les voies neurales qui impliquent les hémiclitoris. Elle prévoit également de mieux comprendre le rôle qu’ils jouent dans le comportement des serpents, notamment pendant la copulation, et de déterminer si et comment ils sont stimulés par des comportements d’accouplement tels que les vibrations et l’enroulement de la queue.
Les résultats montrent que les clitoris sont encore plus répandus chez les amniotes, le groupe des vertébrés qui comprend les mammifères, les reptiles et les oiseaux, qu’on ne le pensait auparavant, ce qui indique une origine ancestrale unique pour cette structure. Et tous ces clitoris, selon Folwell, doivent faire l’objet de recherches plus approfondies, car les chercheurs commencent tout juste à comprendre leurs fonctions. Ces connaissances et le contexte évolutif pourraient éclairer des domaines disparates, du comportement animal à la santé sexuelle humaine.
L’étude publiée dans Yhe Proceedings of the Royal Society B. : First evidence of hemiclitores in snakes et présentée sur le site de l’université La Trobe : Snake clitoris described for first time.