D’anciens récepteurs nasaux cultivés en laboratoire dévoilent l’odorat de nos ancêtres néanderthaliens et dénisoviens
Nos ancêtres ne sentaient probablement pas bon, mais sentaient-ils bien ? Une nouvelle étude a cultivé les récepteurs d’odeurs de Néandertaliens et de Dénisoviens, et a testé leur sensibilité à différentes odeurs par rapport aux humains modernes.
Image d’entête : représentation de l’homme de Neandertal. (Petr Kratochvil)
Pendant des centaines de milliers d’années, l’Homo sapiens a partagé le monde avec d’autres espèces d’humains archaïques. Les Néandertaliens vivaient dans toute l’Europe et une partie de l’Asie, tandis que les Dénisoviens vivaient en Russie et en Asie du Sud-Est, se mêlant et se croisant occasionnellement entre eux et avec les humains modernes.
Nous ignorons encore beaucoup de choses sur le mode de vie de ces espèces archaïques, mais des indices peuvent se trouver dans leurs gènes. Pour cette nouvelle étude, des chercheurs de l’université Paris-Saclay (Institut de Chimie des Substances Naturelles /CNRS) et de l’université Duke (États-Unis)ont cultivé des récepteurs olfactifs de Néandertaliens et de Dénisoviens dans des boîtes de culture, ils les ont exposés à différentes odeurs et ils ont mesuré leurs sensibilités par rapport aux nôtres.
L’équipe a commencé par consulter les bases de données des génomes des différentes espèces, notamment celles rassemblées par le lauréat du prix Nobel de l’année dernière, Svante Pääbo. Ils ont ensuite pu comparer des gènes de récepteurs d’odeurs spécifiques à ceux de l’humain moderne pour déterminer l’ampleur des différences entre chacun d’eux. À partir de là, ils ont cultivé 30 récepteurs olfactifs de chaque hominidé, les ont exposés à diverses odeurs et ont évalué leurs réactions.
L’équipe a constaté que les récepteurs détectaient généralement les mêmes odeurs, mais qu’ils étaient très différents dans leur sensibilité aux différentes odeurs. Les Néandertaliens semblent avoir eu à peu près les mêmes récepteurs que nous, à quelques gènes près, et contrairement à ce que l’on pourrait croire, ces changements étaient surtout négatifs. Les récepteurs spécifiques des Néandertaliens étaient nettement moins sensibles aux odeurs épicées, sucrées, mentholées et florales que les humains modernes. En revanche, ils étaient également moins sensibles aux odeurs de sueur et d’urine, ce qui serait sans doute bénéfique dans un monde où les routines d’hygiène quotidiennes n’existaient pas.
Les Dénisoviens, en revanche, présentaient des différences plus larges dans leurs réponses olfactives. Ils étaient moins sensibles aux parfums floraux, mais quatre fois plus performants que nous pour détecter les odeurs « sulfureuses » et trois fois plus sensibles aux parfums balsamiques, des odeurs épaisses et sucrées comme la vanille et le chocolat. Ils réagissaient également bien à l’odeur du miel, qui, selon l’équipe, aurait pu être un de leurs aliments préférés, étant donné son caractère riche en énergie.
Portrait d’une jeune Dénisovienne d’après un profil squelettique reconstitué à partir d’anciens modèles de méthylation de l’ADN.(Maayan Harel)
Selon Hiroaki Matsunami, coauteur de l’étude :
Nous ne savons pas ce que les Dénisoviens mangeaient, mais il y a des raisons pour lesquelles ce récepteur doit être sensible. Chaque espèce doit faire évoluer ses récepteurs olfactifs pour maximiser sa capacité à trouver de la nourriture. Chez les humains, c’est plus compliqué parce que nous mangeons beaucoup de choses. Nous ne sommes pas vraiment spécialisés.
Non seulement cette étude peut aider à mieux comprendre la génétique et le comportement de nos ancêtres, mais l’équipe affirme que son testeur d’odeur à base de cellules permettra d’étudier la variation génétique de la sensibilité aux odeurs entre les individus chez les humains modernes.
Résumé graphique de l’étude. (C. de March et col./ iScience)
L’étude publiée dans iScience : Genetic and functional odorant receptor variation in the Homo lineage et présentée sur le site de l’Université Duke : Ancient Humans Had Same Sense of Smell, But Different Sensitivities.