Les plumes ultra-absorbantes de cet oiseau africain pourraient bien inspirer les prochains collecteurs d’eau
Le Ganga namaqua mâle (Pterocles namaqua et sandgrouse en anglais) n’est peut-être pas très esthétique, mais ses plumes ventrales lui confèrent la capacité unique d’absorber et de transporter de l’eau. Pour la première fois, des chercheurs ont examiné de près leur structure afin de déterminer comment elles absorbent l’eau et si ce processus pouvait être adapté à un usage humain.
Image d’entête : un couple de Ganga namaqua, au parc transfrontalier de Kgalagadi entre l’Afrique du Sud et le Botswana. (jaffles/ Flickr)
Quand on pense aux plumes, on pense probablement à leur capacité à repousser l’eau, hydrophobe. Ce n’est pas le cas des plumes ventrales du mâle du Ganga namaqua du désert. Il peut se rendre à un point d’eau, absorber l’eau dans ses plumes, voler sur plus de 20 km à travers le désert et avoir encore assez d’eau pour satisfaire un nid rempli d’oisillons piaillant. C’est une étonnante prouesse quand on sait qu’il peut absorber environ 15 % de son poids en eau tout en volant à une vitesse d’environ 64 km/h.
Les capacités de transport d’eau du Ganga ont été remarquées pour la première fois en 1896 par Edmund Meade-Waldo, ornithologue anglais et défenseur de l’environnement, alors qu’il élevait des oiseaux en captivité. Malheureusement, lorsqu’il a fait part de ses découvertes à d’autres personnes, personne ne l’a cru. Ce n’est qu’en 1967, lorsque Tom Cade et Gordon MacLean ont rapporté leurs observations de Ganga des sables dans des points d’eau dans la revue The Condor, que le monde scientifique a commencé à s’intéresser à la question.
Un Ganga namaqua mâle en Afrique du Sud. (Bernard DUPONT/ Wikimedia)
Aujourd’hui, des chercheurs américains de l’université Johns Hopkins et du Massachusetts Institute of Technology (MIT/ États-Unis) ont utilisé des microscopes modernes à haute résolution et la technologie 3D pour obtenir un aperçu inédit de ce qui donne à ces plumes leur capacité à retenir l’eau. Ils ont utilisé des plumes ventrales d’un adulte Ganga namaqua mâle, commun en Namibie, au Botswana et en Afrique du Sud.
À l’aide d’un microscope électronique à balayage, de la tomographie assistée par ordinateur, de la microscopie optique et de la vidéographie en 3D, les chercheurs ont pu examiner les tiges des plumes ventrales, qui ne représentent qu’une fraction de la largeur d’un cheveu humain, ainsi que les barbules, encore plus petites. Ces minuscules crochets assurent la structure mécanique et l’intégrité aérodynamique.
Ils ont ensuite entrepris la tâche délicate de plonger les plumes sèches dans de l’eau, de les en extraire et, sous un fort grossissement, ils ont observé comment les structures de la plume absorbaient le liquide.
En général, les plumes d’oiseaux ont une tige centrale d’où partent des barbules encore plus petites. Mais dans les plumes sèches du Ganga namaqua, la zone interne comporte des barbules qui sont enroulées en hélice à leur base et qui se redressent ensuite. Dans la zone externe, les barbules sont droites et beaucoup plus longues, disposées en franges.
Microscopie électronique à balayage de la zone interne d’une plume ventrale sèche d’un tétras des sables Namaqua présentant la tige des barbules, les spirales hélicoïdales des barbules adjacentes à cette tige et l’extension droite et fibreuse des barbules au-delà des spirales hélicoïdales. (Université Johns Hopkins)
Les chercheurs ont constaté que dans les plumes mouillées, les barbules de la zone interne étaient petites et flexibles, de sorte que la tension superficielle suffit à plier les parties droites en structures en forme de larmes qui retiennent l’eau. Les barbes et barbules de la zone externe s’enroulent autour des structures de la zone interne, contribuant à maintenir l’eau. En séchant, les structures reprennent leur forme initiale.
Au microscope, l’eau se répandant dans les plumes spécialisées du Ganga namaqua montre le déroulement et l’étalement des barbules de la plume au fur et à mesure qu’elles sont mouillées. Au départ, la plupart des barbules de la zone extérieure de la plume sont tubulaires. (Specimen #142928/ Museum of Comparative Zoology/ Harvard University)
Selon Jochen Mueller, coauteur de l’étude :
Il est tout à fait fascinant de voir comment la nature a réussi à créer des structures si parfaitement efficaces pour absorber et retenir l’eau. Du point de vue de l’ingénierie, nous pensons que ces découvertes pourraient déboucher sur de nouvelles créations bio-inspirées.
Alors que l’on pensait auparavant que la tension superficielle permettait aux plumes de retenir l’eau, cette étude démontre que c’est la flexibilité des différentes parties de la plume qui est déterminante.
Selon les chercheurs, les résultats de l’étude pourraient nous être utiles. Par exemple, dans les régions désertiques telles que le désert d’Atacama au Chili, où l’eau est rare, mais où le brouillard et la rosée se produisent régulièrement, une adaptation de la structure des plumes pourrait être incorporée dans des filets de collecte d’eau.
Sekin Lorna Gibson, coauteure de l’étude :
On peut imaginer qu’il s’agit d’un moyen d’améliorer ces systèmes. Un matériau doté de ce type de structure pourrait être plus efficace pour recueillir le brouillard et retenir l’eau.
Une autre utilisation potentielle serait la conception d’une bouteille d’eau qui contiendrait beaucoup de liquide, mais qui s’appuierait sur la structure en plumes pour empêcher l’eau de se déplacer lorsque quelqu’un fait, par exemple, du jogging.
Pour Mueller :
C’est ce qui nous a enthousiasmés, de voir ce niveau de détail. C’est ce que nous devons comprendre afin d’utiliser ces principes pour créer de nouveaux matériaux.
Les chercheurs ont l’intention d’imprimer en 3D des structures similaires, afin de trouver des applications commerciales à leur découverte.
La vidéo ci-dessous, produite par l’université Johns Hopkins, montre comment les scientifiques ont mené leurs recherches et inclut certaines des images qu’ils ont recueillies.
L’étude publiée dans The Royal Society Interface : Structure and mechanics of water-holding feathers of Namaqua sandgrouse (Pterocles namaqua), présentée sur le site de l’Université Johns Hopkins : How an African bird might inspire a better water bottle et sur le site du MIT : Scientists uncover the amazing way sandgrouse hold water in their feathers.