Des biologistes tentent de déterminer pourquoi des orques ont pris l’habitude de harceler des marsouins jusqu’à la mort
Depuis des décennies, les orques (Orcinus orca), également connues sous le nom d’épaulards, sont observées en train de harceler et même de tuer d’autres mammifères marins tels que les marsouins (Phocœnidés), mais sans les manger. Cette situation laisse les chercheurs perplexes. Aujourd’hui, une nouvelle étude (lien plus bas) tente d’en trouver la raison, suggérant que les orques jouent, s’entraînent à chasser ou tentent de prodiguer des soins.
Image d’entête, à partir de l’étude : l’orque résidente du sud désignée L119 tenant dans sa bouche un baleineau de marsouin commun qui a finalement été noyé par les orques L119, L77 et L113 le 21 septembre 2016. (Mark Malleson/ D. Giles et col., Marine Mammal Science)
Les chercheurs ont étudié plus de 60 ans d’interactions enregistrées entre les “orques résidentes du Sud” (SRKW pour Southern Resident killer whales), une petite population d’orques bien étudiée, et les marsouins dans la mer des Salish (une mer intérieure partagée par l’État de Washington et la Colombie-Britannique) afin de comprendre leur comportement. Les SRKW sont une population en voie de disparition.
Selon Deborah Giles, auteure de l’étude :
On me demande souvent pourquoi les résidents du Sud ne mangent pas plutôt des phoques ou des marsouins. C’est parce que les orques mangeuses de poissons ont une écologie et une culture complètement différentes de celles des orques mangeuses de mammifères marins, même si les deux populations vivent dans les mêmes eaux.
Dans leur étude, Giles et son équipe ont identifié et analysé 78 cas de harcèlement de marsouins par des SRKW entre 1962 et 2020, dont 28 ont entraîné la mort des marsouins. Ils ont suggéré trois raisons possibles à ce comportement, la première étant le jeu social. Les orques sont très intelligentes et socialement compétentes, avec une personnalité enjouée et joyeuse. Des SRKW ont été observé porter le marsouin sur leur dos ou le « porter » entre plusieurs individus, ce qui ressemblait presque à un « jeu » dont le but était de maintenir le marsouin hors de l’eau. Parfois, les SRKW continuaient à s’engager avec le marsouin bien après sa mort, ce qui indique que le but n’était pas vraiment de le tuer.
A partir de l’étude : un baleineau de marsouin commun trainé hors de l’eau. Le marsouin a fini par s’éloigner à la nage, et l’issue de sa survie est inconnue. (Candice Emmons/ D. Giles et col., Marine Mammal Science)
Il est également possible que le harcèlement des marsouins serve aux orques à améliorer leurs techniques de chasse au saumon. Les SRKW pourraient considérer les marsouins comme des cibles mobiles pour s’entraîner à la chasse, même s’ils n’ont pas l’intention de les manger. Les femelles adultes, les chasseuses les plus expérimentées, ont été les moins impliquées dans le harcèlement, tandis que les baleineaux et les juvéniles l’ont été davantage.
Il existe également une troisième possibilité. Les orques pourraient essayer de s’occuper des marsouins qu’elles perçoivent comme plus faibles ou malades, une manifestation de leur tendance naturelle à s’occuper des autres membres de leur groupe. C’est une comportement maternelle inadéquate encore désigné en anglais de « mismothering behavior« . Des femelles ont été vues portant leurs petits décédés et elles ont également porté des marsouins de la même manière.
Toujours selon Giles :
Le comportement de rematernage, également connu sous le nom de « comportement épimélétique déplacé » par les scientifiques, pourrait être dû au fait que les femelles ont peu d’occasions de s’occuper de leurs petits. Nos recherches ont montré qu’en raison de la malnutrition, près de 70 % des grossesses des orques SRKW se sont soldées par des fausses couches ou des baleineaux morts immédiatement après la naissance.
Malgré ces résultats, Giles et l’équipe de chercheurs reconnaissent que la raison exacte du harcèlement des marsouins ne pourra jamais être entièrement comprise. Ce qui est clair, c’est que les marsouins ne font pas partie du régime alimentaire des SRKW. Ces orques se nourrissent principalement de saumon, en particulier de saumon royal.
L’orque résidente du sud J31 percutant un marsouin commun le 9 septembre 2009. les orques J36, J39 et K37 ont également participé à l’incident. Le marsouin est mort et a été recueilli pour nécropsie par la NOAA. (Jeffrey Foster/ D. Giles et col., Marine Mammal Science)
L’étude souligne également l’importance de la conservation des populations de saumon dans l’ensemble de l’aire de répartition de la baleine. Le maintien d’un approvisionnement en saumon est vital pour leur survie et leur bien-être. Les épaulards sont inscrits sur la liste des espèces en voie de disparition au Canada et aux États-Unis et ils sont en danger d’extinction en raison de la rareté du saumon, des perturbations causées par les navires et des contaminants hérités du passé.
Pour Sarah Teman, coauteure de l’étude :
Les orques sont des animaux incroyablement complexes et intelligents. Nous avons découvert que le comportement de harcèlement des marsouins a été transmis d’une génération à l’autre et à travers les groupes sociaux. C’est un exemple étonnant de la culture des orques. La culture de la consommation de saumon est profondément ancrée dans la société des résidents du sud.
L’étude publiée dans la revue Marine Mammal Science : Harassment and killing of porpoises (“phocoenacide”) by fish-eating Southern Resident killer whales (Orcinus orca) et présentée sur le site de l’Université de Californie à Davis : Why Are Killer Whales Harassing and Killing Porpoises Without Eating Them?