L’image la plus précise jamais obtenue d’une bactérie vivante, mettant en évidence sa couche externe protectrice lui permettant de résister aux antibiotiques
En utilisant la pointe d’une aiguille de taille nanométrique pour sonder les structures extérieures complexes de la fameuse bactérie Escherichia coli, des scientifiques ont produit les images les plus nettes jamais réalisées de bactéries vivantes. Grâce à cette nouvelle perspective de sa couche protectrice, les chercheurs espèrent approfondir leur connaissance sur la manière dont les bactéries peuvent se développer rapidement et révéler des failles dans leur armure qui pourraient nous aider à résoudre le grave problème de la résistance aux antibiotiques.
Image d’entête : la bactérie E. Coli au microscope avec une résolution inférieure à cinq nanomètres, soit environ 1/10 000 de l’épaisseur d’un cheveu humain, révélant la surface irrégulière de la membrane externe dans des détails sans précédent. (Benn et col./ PNAS/ UCL)
Cette vue sans précédent de la membrane externe résistante des bactéries Gram négatifs, un groupe qui comprend des espèces telles que l’Acinetobacter baumannii, Pseudomonas aeruginosa, Salmonella et l’E. coli, est offerte par des scientifiques de l’University College de Londres qui s’efforcent de mieux comprendre leur principal moyen de défense contre les traitements médicaux actuels. La membrane externe des bactéries à Gram négatif est de plus en plus efficace pour repousser les antibiotiques, et ces types de “superbactéries” pourraient tuer des millions de personnes par an d’ici 2050, ont averti les experts.
Selon l’auteur correspondant, le professeur Bart Hoogenboom de l’University College de Londres :
La membrane externe constitue une formidable barrière contre les antibiotiques et joue un rôle important dans la résistance des bactéries infectieuses aux traitements médicaux. Cependant, la manière dont cette barrière est constituée reste relativement méconnue, c’est pourquoi nous avons choisi de l’étudier de manière aussi détaillée.
Pour ce faire, l’équipe, aidée d’un microscope à force atomique, a passé au peigne fin l’extérieur de l’E. Coli à l’aide d’une minuscule aiguille dont la pointe ne fait que quelques nanomètres de large. Cela leur a permis de détecter et d’imager les structures moléculaires très fines à la surface de la bactérie, et de montrer comment la membrane externe présente des trous microscopiques formés par des protéines qui permettent le passage des nutriments tout en empêchant les toxines de pénétrer.
Scans de microscopie à force atomique présentant la membrane externe de l’Escherichia coli. (Benn et col./ PNAS)
À la surprise des chercheurs, certaines zones de la membrane semblaient ne contenir aucune protéine, mais plutôt des molécules à chaînes sucrées appelées glycolipides, et certaines parties de la membrane s’étaient même inversées à la suite de mutations. Ces défauts étaient corrélés à une plus grande sensibilité à un antibiotique appelé bacitracine, qui n’est généralement efficace que contre les bactéries à Gram positif.
Selon Georgina Benn, auteur de l’étude :
L’image classique de la membrane externe des bactéries montre des protéines réparties sur la membrane de manière désordonnée, bien mélangées à d’autres éléments constitutifs de la membrane. Nos images démontrent que ce n’est pas le cas, mais que les plaques lipidiques sont séparées des réseaux riches en protéines, tout comme l’huile se sépare de l’eau, formant dans certains cas des brèches dans l’armure de la bactérie. Cette nouvelle façon d’observer la membrane externe signifie que nous pouvons maintenant commencer à explorer si et comment cet ordre est important pour la fonction et l’intégrité de la membrane et sa résistance aux antibiotiques.
Outre la mise en évidence de potentiels points faibles pouvant être ciblés par des antibiotiques, ces travaux pourraient également révéler comment les bactéries peuvent se développer rapidement tout en conservant une membrane externe très dense. Les chercheurs pensent que les plaques de glycolipides pourraient être plus malléables que celles de protéines, ce qui permettrait à la membrane de s’étirer et de s’adapter à la croissance de la bactérie.
L’étude publiée dans The Proceedings of the National Academy of Sciences : Phase separation in the outer membrane of Escherichia coli et présentée sur le site de l’University College de Londres : Sharpest images ever reveal the patchy face of living bacteria.