Concept de la valeur de l’outil : les corbeaux prennent davantage soin de leurs outils les plus efficaces
Une nouvelle étude a démontré que les corbeaux peuvent attribuer une valeur à leurs outils tout comme nous le faisons.
Selon l’écologiste Barbara Klump, de l’Institut Max Planck, en Allemagne :
Nombreux sont ceux qui vont se préoccuper d’un téléphone tout neuf, en veillant à ce qu’il ne soit pas rayé, tombé ou perdu. Mais nous pouvons manipuler un vieux téléphone dont l’écran est fissuré de manière tout à fait négligente.
Les corbeaux Calédoniens (Corvus moneduloides) sont si réputés pour leur intelligence que les scientifiques les utilisent comme espèce modèle pour comprendre l’évolution de l’utilisation des outils et des comportements associés, comme la planification.
Image d’entête : corbeau calédonien tenant dans son bec un outil crochu. (James St Clair/ Institut Max Planck)
Non seulement ces astucieux corbeaux peuvent utiliser des objets trouvés comme outils, mais ils peuvent aussi les façonner ou même les fabriquer à partir de plusieurs parties qui sont individuellement inutiles, ce qui n’avait été observé auparavant que chez les primates.
Dans la nature, ils utilisent ces outils en forme de brindilles, qu’ils tiennent délicatement dans leur bec, pour embêter les vers blancs bien à l’abri dans les crevasses des arbres. Les larves mordent l’outil de manière défensive, ce qui permet aux oiseaux de les retirer et de le manger. Mais les corbeaux doivent poser leurs outils pendant qu’ils mangent, de sorte qu’ils peuvent tomber au sol ou même être volés.
Les chercheurs ont utilisé 27 corbeaux capturés dans la nature pour leurs essais expérimentaux, afin que leurs résultats ne soient pas biaisés par un entraînement préalable.
En offrant aux corbeaux le choix entre les deux types d’outils, l’équipe a confirmé que les oiseaux préféraient nettement utiliser les outils en forme de bâton crochu.
Selon Christian Rutz, écologiste comportemental de l’université de St Andrews en Écosse :
Les outils à crochets sont non seulement plus difficiles à obtenir, mais ils sont aussi beaucoup plus efficaces. Selon la tâche de recherche de nourriture, les corbeaux peuvent extraire leurs proies avec ces outils jusqu’à 10 fois plus vite qu’avec des outils standard sans crochet.
Dix-sept de ces oiseaux ont ensuite été observés au cours de deux essais, chacun à des jours différents. Dans les deux cas, on leur a présenté des rondins comportant des trous de différentes tailles et contenant de la viande ou des araignées. Dans l’un des essais, ils avaient accès à des branches appropriées à la construction d’outils à crochets et dans l’autre, à des bâtons droits uniquement.
Selon les chercheurs dans leur étude (lien plus bas) :
Les sujets étaient beaucoup plus susceptibles d’adopter un comportement de protection (en rangeant les outils sous leurs pattes ou dans des trous) lorsqu’ils cherchaient de la nourriture avec des outils en forme de bâtons crochus qu’ils avaient fabriqués… que lorsqu’ils cherchaient de la nourriture avec des outils en forme de bâtons non crochus qu’ils avaient trouvés dans la litière de feuilles.
Cela restait vrai lorsque les outils à crochets étaient fournis par les chercheurs, ce qui suggère que l’outil lui-même était le sujet de la valeur attribuée plutôt que le temps qu’ils y ont consacré. Qui plus est, ils ont utilisé la méthode de conservation la plus sûre, à savoir le stockage des outils dans des trous, bien plus pour les outils crochus.
A partir de l’étude : types d’outils mis à disposition des corbeaux Calédonien pour les expériences. (Barbara C Klump et col./ eLife)
Pour James St Clair, éthologue à l’Université de St Andrews :
Il est passionnant de constater que les corbeaux sont un peu plus prudents avec des outils plus efficaces et plus coûteux à remplacer. Cela suggère qu’ils ont une certaine conception de la « valeur » relative des différents types d’outils.
Étant donné que les corvidés, comprenant les corbeaux et les corneilles de Nouvelle-Calédonie, ont également démontré leur capacité à planifier, il est logique qu’ils puissent également attribuer une valeur aux objets qu’ils utilisent afin de les classer par ordre de priorité.
L’équipe note que les corbeaux Calédoniens ne fabriquent pas tous des outils en forme de bâton crochu, de sorte que leurs résultats ne peuvent être généralisés qu’aux populations qui en fabriquent. La taille de leur échantillon était également trop petite pour complètement dégager certaines variables, comme le choix du matériau, concèdent-ils.
Mais au moins une autre espèce de corbeau, le corbeau hawaïen (Corvus hawaiiensis), a également fait preuve de ce comportement de préservation.
Nous avons longtemps sous-estimé les capacités des oiseaux, compte tenu de leur cerveau relativement petit. Mais des études physiologiques ont montré que la densité de leurs neurones compense leur petite taille.
Des études comportementales révèlent continuellement que ces dinosaures modernes sont capables de comportements dont nous pensions autrefois que seuls les humains étaient capables, comme le contrôle de soi, ce qui prouve que, comme tout ce qui est biologique, l’intelligence est un spectre compliqué qui n’est pas apparu spontanément avec l’arrivée de notre espèce.
L’étude publiée dans eLife : New Caledonian crows keep ‘valuable’ hooked tools safer than basic non-hooked tools et présentée sur le site de l’Institut Max Planck : Crows keep special tools extra safe.