Des fossiles de poissons provenant de Chine montrent comment les mâchoires et les membres de la marche ont commencé à évoluer il y a 430 millions d’années
Des fossiles d’anciens poissons découverts lors de deux fouilles distinctes en Chine permettent de reconstituer l’évolution des premières mâchoires et des premiers membres par paire, et ainsi de mieux comprendre l’évolution humaine.
Image d’entête : représentation artistique de poissons à mâchoires datant de 440 millions d’années. (China Daily/ ACS)
Un trésor de fossiles vieux de 436 millions d’années a révélé pour la première fois qu’un clade éteint de poissons sans mâchoires, les galeaspides, possédait des nageoires jumelées. Elle montre comment les premières nageoires se sont séparées en nageoires pectorales et pelviennes, précurseurs des bras et des jambes.
Les premiers vertébrés qui ont quitté l’eau il y a environ 375 millions d’années, les ancêtres de tous les vertébrés terrestres, y compris les humains, l’ont fait sur des membres de marche primitifs qui ont évolué à partir de nageoires appariées.
Jusqu’à présent, les seuls fossiles de galeaspides trouvés étaient ceux de la tête de ce poisson blindé. Les nouveaux fossiles, décrits dans une nouvelle étude (lien plus bas), comprennent des corps entiers. Les spécimens ont été nommés Tujiaaspis, d’après le peuple indigène Tujia qui vit dans la province du Hunan et à Chongqing où les fossiles ont été découverts.
Reconstitution du Tujiaaspis vividus. (ZHENG Qiuyang/ ACS)
Les fossiles des premiers vertébrés montrent soit qu’ils avaient des nageoires séparées, soit qu’ils n’en avaient pas. Il existe peu de preuves de l’évolution graduelle des nageoires appariées.
Selon le premier auteur, Zhikun Gai, professeur à l’Institut de paléontologie des vertébrés et de paléoanthropologie (IVPP) de l’Académie chinoise des sciences :
L’anatomie des galeaspides est une sorte de mystère depuis leur découverte il y a plus d’un demi-siècle. Des dizaines de milliers de fossiles sont connus en Chine et au Vietnam, mais presque tous ne sont que des têtes, on ne savait rien du reste de leur corps, jusqu’à présent.
Et selon le coauteur de l’étude, le professeur Philip Donoghue, de l’université de Bristol au Royaume-Uni :
Tujiaaspis donne un nouveau souffle à une hypothèse vieille d’un siècle sur l’évolution des nageoires paires, par la différenciation des nageoires pectorales (bras) et pelviennes (pattes) au cours de l’évolution, à partir d’un précurseur de nageoire continu de la tête à la queue.
Appelée l’hypothèse du « repli des nageoires » (fin-fold hypothesis), cette théorie, bien que manquant de preuves tangibles jusqu’à présent, a la faveur des paléontologues. Elle concilie également les données génétiques contemporaines qui étudient l’effet du contrôle du développement embryonnaire des nageoires chez les vertébrés vivants.
À l’aide de simulations informatiques, l’équipe a déterminé que les nageoires jumelées du Tujiaaspis lui donnaient un avantage lors de la nage.
Reconstruction 3D du Tujiaaspis vividus. (YANG Dinghua)
Selon le Dr Humberto Ferron, coauteur de l’étude, également de l’université de Bristol :
Les nageoires jumelées de Tujiaaspis agissent comme des hydrofoils (hydroptère), générant passivement une portance pour le poisson sans aucun apport musculaire des nageoires elles-mêmes. Les plis latéraux des nageoires de Tujiaaspis lui permettaient de nager plus efficacement.
Un autre fossile découvert en Chine, âgé de seulement 3 millions d’années de plus que le Tujiaaspis, serait le plus ancien poisson à mâchoires incontesté. Les paléontologues qui ont découvert ce spécimen vieux de 439 millions d’années estiment qu’il suggère que nous devons revoir la chronologie de l’évolution des vertébrés.
Reconstitution du Fanjingshania renovata en mouvement. (ZHANG Heming/ IVPP)
Le poisson appartient à un ancien groupe de « requins » connus collectivement sous le nom d’acanthodiens et précède de 15 millions d’années le précédent plus ancien poisson à mâchoire.
Baptisé Fanjingshania, cet ancien poisson est recouvert d’une carapace externe osseuse et possède plusieurs paires de nageoires. Il est décrit dans une autre étude (lien plus bas). Ce qui est marquant avec ce spécimen, c’est qu’il présente les preuves d’une diversification des principaux groupes de vertébrés bien avant la soi-disant « ère des poissons » (Paléozoïque) qui a commencé il y a environ 420 millions d’années.
Selon l’auteur principal, le professeur Min Zhu, de l’Académie chinoise des sciences :
Il s’agit du plus ancien poisson à mâchoire dont l’anatomie est connue. Les nouvelles données nous ont permis de placer Fanjingshania dans l’arbre phylogénétique des premiers vertébrés et d’obtenir des informations indispensables sur les étapes de l’évolution menant à l’origine d’importantes adaptations des vertébrés telles que les mâchoires, les systèmes sensoriels et les appendices pairs.
Reconstitution du Fanjingshania. (FU Boyuan et FU Baozhong)
L’analyse du Fanjingshania et l’analyse algorithmique de l’arbre phylogénétique ont des répercussions importantes sur ce que nous savons de l’origine des poissons à mâchoires.
Selon le coauteur, le Dr Ivan J. Sansom de l’Université de Birmingham au Royaume-Uni :
Cette nouvelle découverte soulève des questions sur les modèles existants de l’évolution des vertébrés en condensant de manière significative le délai d’émergence des poissons à mâchoires à partir de leurs plus proches ancêtres sans mâchoires. Cela aura un profond impact sur la façon dont nous évaluons les taux d’évolution chez les premiers vertébrés et la relation entre les changements morphologiques et moléculaires dans ces groupes.
Petit résumé graphique de ces deux études : Cinq poissons du Silurien provenant de Chine réécrivent l’histoire de l’évolution « du poisson à l’homme » (NICE Tech/ ScienceApe)
Les deux études publiées dans Nature :
- L’étude sur les galeaspides Tujiaaspis : Galeaspid anatomy and the origin of vertebrate paired appendages
- L’étude du Fanjingshania : Spiny chondrichthyan from the lower Silurian of South China
… et présentées sur le site de l’Académie chinoise des sciences :