Les corbeaux semblent comprendre le concept de récursivité que l’on croyait autrefois propre aux humains
Les corbeaux sont intelligents… très, très intelligents. Non seulement ils peuvent construire des outils de mémoire et les utiliser pour en fabriquer d’autres, mais ils saisissent même le concept du zéro. Aujourd’hui, les corbeaux ont une nouvelle fois prouvé leur capacité, en montrant qu’ils peuvent maîtriser un concept que l’on croyait autrefois réservé aux humains : la récursivité ou récursion.
La récursivité est un concept qui se retrouve dans divers domaines, de la programmation au langage humain en passant par l’art… La récursivité apparaît lorsque vous définissez quelque chose (quelle que soit cette chose) en utilisant la chose même que vous définissez comme partie de la définition.
Dans le langage, la récursivité donne également lieu à de drôles de choses. Prenez par exemple la phrase « La souris que le chat poursuivait s’est échappée ». Ce n’est pas exactement la phrase qui résonne le mieux, mais même si elle est un peu confuse, elle reste parfaitement logique. Un humain qui lirait cette phrase et essaierait d’y trouver un sens comprendrait que « le chat a poursuivi » est inclus dans « la souris s’est échappée ».
Mais toutes les créatures ne sont pas capables de faire cela. En fait, jusqu’à très récemment, on pensait que c’était quelque chose que seuls les humains pouvaient saisir.
En 2020, un groupe de chercheurs a appris à des humains et à des singes à reconnaître et à utiliser la récursivité qui utilise des séquences telles que { ( ) } ou ( { } ), le but était d’identifier la paire de parenthèses dans une phrase composée de symboles, choisir les parenthèses dans la séquence {()}, par exemple. Les enfants âgés de 3 à 4 ans ont formé des séquences récursives dans 40 % des essais, alors que chez les singes, 2 des 3 singes ont fait la même chose.
Cela a fait réfléchir Diana A. Liao et ses collègues de l’université de Tübingen (Allemagne). Les corbeaux, qui ont déjà surpris les chercheurs par leurs capacités cognitives, ne pourraient-ils pas faire la même chose ?
Ils ont adapté le protocole pour l’étude de 2020 et ils ont appris aux corbeaux à faire la même chose. Après leur avoir enseigné le protocole, ils ont testé si les corbeaux pouvaient choisir les caractères intégrés mieux que le résultat d’un choix aléatoire.
Les auteurs de l’étude ont rendu la tâche encore plus difficile pour les corbeaux : ils ont ajouté un autre caractère, permettant des phrases telles que {[()]}, réduisant les chances que les animaux puissent simplement mémoriser la séquence. Non seulement les corbeaux ont obtenu d’aussi bons résultats que les enfants et les macaques, mais ils l’ont fait sans avoir besoin de l’entraînement supplémentaire requis par les singes.
A partir de l’étude : (A) Procédure d’entraînement : Les corbeaux devaient picorer les stimuli des crochets dans un ordre séquentiel intégré au centre. Après avoir initié un essai, deux paires de crochets apparaissaient simultanément à des emplacements aléatoires sur l’écran tactile. Le corbeau devait picorer chaque stimulus dans un ordre déterminé (représenté ici par des flèches et des chiffres) et il était récompensé lorsque la séquence était correcte. Dans le cas contraire, lorsqu’un crochet incorrect était sélectionné, l’écran clignotait, une tonalité d’erreur était émise et un bref temps d’arrêt était déclenché. (B) Listes d’entraînement qui étaient présentées jusqu’à ce que le critère soit atteint. Après l’entraînement, ces listes étaient mélangées au cours d’une session avec des essais de transfert qui consistaient en des paires de crochets intérieurs provenant des deux listes d’entraînement. (Diana A. Liao et col./ Science Advances)
Selon les chercheurs dans leur étude :
Nous avons présenté des séquences de stimuli de paires d’accolades (par exemple, [ ] et { }) à des corbeaux qui avaient pour instruction de picorer des listes d’entraînement. Ils ont ensuite été testés sur leur capacité à transférer une structure intégrée au centre à des paires de parenthèses jamais rencontrées auparavant. Nous révélons que les corbeaux ont des capacités récursives. Leurs performances sont comparables à celles des enfants et dépassent même celles des macaques.
Ces résultats démontrent que les capacités récursives ne sont pas limitées à la généalogie des primates et qu’elles peuvent être apparues séparément ou avant la compétence symbolique humaine chez différents groupes d’animaux.
Bien que tous les chercheurs ne soient pas convaincus de l’importance de cette étude (et de l’idée de saisir la récursivité en général), si les corbeaux en sont vraiment capables, c’est particulièrement surprenant, car ils ne semblent pas avoir de langage comme les humains. Cela suggère qu’ils ont besoin de la récursivité pour un autre processus cognitif, mais ce processus n’est pas encore clairement défini.
Les implications de cette découverte sont considérables. Les oiseaux n’ont pas de néocortex en couches dans le cerveau, comme c’est le cas chez les primates, ce qui suggère que ce type d’architecture cérébrale n’est pas nécessaire pour faire preuve de ce type de capacité cognitive avancée. Étant donné que les oiseaux font preuve de capacités cognitives de plus en plus avancées, cela laisse supposer que la capacité de réaliser de tels processus s’est développée plusieurs fois de manière indépendante ou qu’elle remonte à un ancêtre ancien.
Les chercheurs veulent maintenant connaitre les autres animaux qui pourraient être capables d’appréhender ce type de concept.
L’étude publiée dans Science Advances : Recursive sequence generation in crows.
Bonjour.
Trois remarques.
1. Pourquoi faut-il toujours que l’intelligence se manifeste sous une forme d’apparence humaine, avec sa logique et ses
manifestations propres ? Sommes -nous si représentatifs d’une intelligence-étalon ?
2. Comment se permet-on encore de juger de l’intelligence d’animaux captifs, privés de leur habitat et de la compagnie de leurs semblables, au sein de ce qui semble bien être ce que nous appelons des « cultures » dès qu’il s’agit d’êtres humains ?
3. Question « langage », il est possible de constater que libres dans la nature, le corbeau fait montre d’une incroyable gamme de sons qui n’ont rien à voir avec une quelconque imitation. Et puisqu’il est question de langage, de quel pourcentage de lecteurs humains êtes vous sûrs que votre article sera compris ?
Merci néanmoins pour votre travail qui prouve un certain intérêt pour un animal qui n’en manque pas.
Bonne continuation.
Sincèrement,
Un lecteur attentif.