Pourquoi l’ancien béton romain est-il beaucoup plus durable que le nôtre ?
Abandonnez une structure moderne en béton pendant quelques décennies et elle commencera à s’effondrer. Pourtant, les structures construites par les Romains sont encore solides 2 000 ans après. À présent, des ingénieurs ont découvert une inclusion qui permet au béton antique de réparer ses propres fissures et ils ont montré comment peut être reproduite cette formule pour que les nouveaux bâtiments durent plus longtemps.
Image d’entête : l’un des bâtiments les plus reconnaissables de Rome, le Panthéon est également le dôme en brique le mieux conservé et le plus grand de l’histoire de l’architecture. Cette photo de l’intérieur montre les détails de la coupole. (Architas/ Wikimedia)
Le béton est le matériau de construction le plus utilisé dans le monde, mais il n’est pas imperméable aux dommages. Les aléas de la météo et les sollicitations peuvent entraîner de minuscules fissures, qui peuvent se transformer en fissures beaucoup plus importantes et menacer l’intégrité de l’ensemble de la structure. Il faut alors prévoir un entretien ou un remplacement coûteux pour éviter une catastrophique rupture.
En revanche, les anciennes structures romaines ont résisté à l’épreuve du temps pendant plus de deux millénaires. Pour savoir comment, des scientifiques ont pendant longtemps examiné des échantillons de ce matériau au microscope afin d’en étudier la composition et de découvrir les ingrédients qui confèrent une telle résistance.
Le matériau pouzzolanique, fabriqué à partir de cendres volcaniques provenant d’une région spécifique d’Italie, occupe une place prépondérante. Il en va de même pour la chaux, dont de précédentes études ont montré qu’elle aidait le béton à se renforcer au fil du temps dans des environnements marins comme les jetées. Une inclusion courante, des morceaux de minéraux blancs de taille millimétrique appelés clastes (fragments) de chaux, est généralement considérée comme un sous-produit, mais dans la nouvelle étude, les chercheurs ont découvert qu’ils pouvaient être là pour une bonne raison.
Selon Admir Masic, auteur principal de l’étude :
L’idée que la présence de ces clastes de chaux fut simplement attribuée à un faible contrôle de qualité m’a toujours dérangé. Si les Romains ont déployé tant d’efforts pour fabriquer un matériau de construction exceptionnel, en suivant toutes les recettes détaillées qui avaient été optimisées au cours de plusieurs siècles, pourquoi auraient-ils mis si peu d’efforts pour assurer la production d’un produit final bien mélangé ? Il doit y avoir autre chose dans cette histoire.
L’équipe a utilisé plusieurs techniques d’imagerie et de cartographie chimique pour examiner les clastes de chaux de beaucoup plus près, et elle a découvert qu’ils sont constitués de différents types de carbonate de calcium, qui semblent s’être formés à haute température. Cela suggère qu’ils ont été fabriqués en ajoutant directement (ou en « mélangeant à chaud ») de la chaux vive, une forme de chaux plus réactive que celle que les anciens Romains étaient censés avoir utilisée.
Pour Masic, les avantages du mélange à chaud sont doubles :
Tout d’abord, lorsque l’ensemble du béton est chauffé à des températures élevées, cela permet des chimies qui ne sont pas possibles si vous utilisez uniquement de la chaux éteinte, en produisant des composés associés à des températures élevées qui ne se formeraient pas autrement. Deuxièmement, cette température accrue réduit considérablement les temps de durcissement et de prise puisque toutes les réactions sont accélérées, ce qui permet une construction beaucoup plus rapide.
Mais surtout, ces clastes de chaux jouent un rôle actif dans le processus de réparation du béton. Le mélange à chaud rend les inclusions fragiles, de sorte que lorsque de minuscules fissures se forment dans le béton, elles traversent les clastes de chaux plus facilement que le matériau environnant. Lorsque l’eau pénètre dans les fissures, elle réagit avec la chaux, formant une solution qui durcit à nouveau en carbonate de calcium et bouche la fissure. Elle peut également réagir avec le matériau pouzzolanique et consolider davantage le béton lui-même.
Carte élémentaire à grande échelle (Calcium : rouge, Silicium : bleu, Aluminium : vert) d’un fragment de 2 cm d’un ancien béton romain (à droite) prélevé sur le site archéologique de Privernum, en Italie (à gauche). Un clast de chaux riche en calcium (en rouge), qui est responsable des propriétés uniques de réparation autonome de ce matériau ancien, est clairement visible dans la région inférieure de l’image. (Linda M. Seymour et col./ Science Advances/ MIT)
Ainsi, plutôt que d’être un indésirable sous-produit, ces clastes de chaux sont là pour une bonne raison, selon l’équipe. Ce mécanisme de réparation autonome pourrait être un facteur important de la longévité des structures en béton de la Rome antique.
Pour vérifier cette hypothèse, les chercheurs ont produit des échantillons de béton ancien et moderne mélangés à chaud, puis les ont fissurés et ils ont fait couler de l’eau dans les fissures pendant de longues périodes. Au bout de deux semaines, l’échantillon de béton ancien avait cicatrisé ses fissures, empêchant l’eau de s’écouler. Le matériau moderne, en revanche, n’a pas du tout cicatrisé.
Selon l’équipe, cette découverte nous aide non seulement à comprendre les secrets de l’ingénierie ancienne, mais elle pourrait également contribuer à améliorer les formules du béton moderne. À cette fin, les chercheurs prennent des mesures pour commercialiser le matériau.
L’étude publiée dans Science Advances : Hot mixing: Mechanistic insights into the durability of ancient Roman concrete et présentée sur le site du Massachusetts Institute of Technology : Riddle solved: Why was Roman concrete so durable?