Des scientifiques transmettent la maladie d’Alzheimer à de jeunes animaux par le transfert du microbiote intestinal
Le rôle du microbiome intestinal dans l’apparition de la maladie d’Alzheimer a enfin été confirmé. En utilisant des greffes de microbiote intestinal, une équipe internationale de chercheurs a montré que les troubles de la mémoire chez les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer peuvent être transmis à de jeunes rats en bonne santé.
Image d’entête : agrégats anormaux de protéines tau formant les dégénérescences neurofibrillaires liées à la maladie d’Alzheimer à l’intérieur des neurones. (NIH)
L’étude (lien plus bas) a également révélé que certaines bactéries présentes dans l’intestin sont directement liées au déclin cognitif chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Cela montre que le microbiome intestinal représente un domaine de recherche essentiel pour la maladie d’Alzheimer et d’autres formes de démence, et qu’il pourrait conduire à de nouvelles méthodes de traitement de cette maladie.
Selon Yvonne Nolan, neuroscientifique à l’University College Cork (UCC) en Irlande :
Les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer sont généralement diagnostiquées au moment de l’apparition des symptômes cognitifs ou après, ce qui peut être trop tard, du moins pour les approches thérapeutiques actuelles. Comprendre le rôle des microbes intestinaux au cours de la démence prodromique, ou au stade précoce,avant l’apparition potentielle des symptômes pourrait ouvrir la voie à la mise au point de nouvelles thérapies, voire à une intervention individualisée.
Des données ont récemment montré que les modifications du microbiote intestinal constituaient un facteur de risque potentiel pour le développement de la maladie d’Alzheimer, bien qu’il n’ait pas été clairement établi qu’elles étaient simplement associées d’une manière ou d’une autre. Aujourd’hui, nous avons la confirmation que le microbiote intestinal joue un rôle causal dans le développement des symptômes de cette maladie dévastatrice.
Pour Sandrine Thuret, neuroscientifique au King’s College de Londres (KCL) :
La maladie d’Alzheimer est une affection insidieuse pour laquelle il n’existe pas encore de traitement efficace. Cette étude représente une avancée importante dans notre compréhension de la maladie.
Nolan, Thuret et des collègues du KCL et du Centre de recherche clinique IRCCS Saint John of God de Bresci en Italie ont cherché à comprendre comment le microbiote intestinal des patients atteints de la maladie d’Alzheimer affecte la santé du cerveau et le comportement.
Des participants humains, dont 69 atteints de la maladie d’Alzheimer et 64 témoins sains, ont donné leur sang pour la recherche, et certains de chaque groupe ont également fourni du microbiote intestinal par le biais d’échantillons de selles. Celui des patients atteints de la maladie d’Alzheimer a été transplanté dans 16 jeunes rats adultes dont le microbiome avait été appauvri par des antibiotiques pendant une semaine. Un groupe équivalent de 16 rats a reçu du microbiote intestinal provenant d’humains du groupe de contrôle sain.
Au moins 10 jours après les transplantations, les rats ont été soumis à des tests comportementaux destinés à évaluer les performances de la mémoire ainsi que d’autres caractéristiques associées à la maladie d’Alzheimer. Ceux ayant reçu des greffes de microbiome provenant de patients atteints de la maladie d’Alzheimer présentaient des troubles de la mémoire, en particulier ceux qui dépendent d’un processus appelé neurogenèse hippocampique adulte. Celle-ci crée de nouveaux neurones dans l’hippocampe, une région du cerveau importante pour la mémoire et l’humeur, et l’une des premières touchées par la maladie d’Alzheimer.
Localisation de l’hippocampe dans le cerveau humain. (NIH)
Selon Nolan :
Les tests de mémoire que nous avons étudiés reposent sur la croissance de nouvelles cellules nerveuses dans la région de l’hippocampe du cerveau. Les animaux porteurs de bactéries intestinales provenant de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer produisaient moins de nouvelles cellules nerveuses et présentaient des troubles de la mémoire.
Les rats dont le microbiote intestinal provenait de patients atteints de la maladie d’Alzheimer présentaient des déficiences plus graves au niveau de la neurogenèse hippocampique lorsque les donneurs eux-mêmes avaient des résultats plus faibles aux tests cognitifs.
Les chercheurs ont également constaté de nettes modifications du métabolome hippocampique des rats, l’ensemble des métabolites tels que les acides aminés et les enzymes qui participent à l’entretien, à la croissance et au fonctionnement normal des cellules. Ces changements pourraient contribuer à la diminution de la croissance de nouveaux neurones dans l’hippocampe.
La neurogenèse hippocampique ne peut pas être mesurée aussi facilement chez les humains vivants, mais le sang de patients atteints de la maladie d’Alzheimer a diminué la neurogenèse dans des cellules souches neurales humaines en laboratoire. Les niveaux d’expression génétique dans les cellules souches exposées au sang de patients atteints de la maladie d’Alzheimer étaient également liés aux performances des patients lors des tests cognitifs et aux types de bactéries présentes dans leurs intestins.
Selon les chercheurs :
La neurogenèse altérée pourrait être le lien convergent entre la composition altérée du microbiote intestinal observée et la déficience cognitive dans la maladie d’Alzheimer.
Les populations de bactéries du genre Coprococcus, qui sont associées à la santé et au vieillissement, étaient significativement réduites chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Ils avaient également beaucoup plus de bactéries du genre Desulfovibrio que les témoins cognitivement sains, comme l’ont montré de précédentes recherches sur des modèles animaux de la maladie d’Alzheimer et de la maladie de Parkinson.
Selon l’équipe, de futures études devraient évaluer de manière approfondie d’autres aspects qui affectent le microbiote intestinal, comme l’état de santé, les facteurs liés au mode de vie et les antécédents de médication.
L’étude publiée dans la revue Brain : Microbiota from Alzheimer’s patients induce deficits in cognition and hippocampal neurogenesis et présentée sur le site du King’s College de Londres : Scientists discover links between Alzheimer’s disease and gut microbiota.