Un ordinateur fabriqué à partir de cellules cérébrales humaines pour en faire une intelligence artificielle moins gourmande
Un système de reconnaissance vocale très élémentaire a été créé à l’aide de boules de cellules cérébrales humaines reliées à un ordinateur. Ces systèmes devraient consommer beaucoup moins d’énergie que les puces en silicium pour les tâches d’intelligence artificielle.
Image d’entête : exemple d’organoïde cérébral. ( Elke Gabriel)
La clé du succès du cerveau réside dans l’efficacité du neurone à servir à la fois de processeur et de mémoire, contrairement aux unités physiquement séparées de la plupart des appareils informatiques modernes. De nombreuses tentatives ont été réalisées pour rendre l’informatique plus proche du cerveau, mais une nouvelle initiative va encore plus loin, en intégrant de vrais tissus cérébraux humains à l’électronique.
Cela s’appelle Brainoware, et ça marche. Une équipe dirigée par l’ingénieur Feng Guo de l’université de l’Indiana à Bloomington (États-Unis) l’a soumis à des tâches telles que la reconnaissance vocale et la prédiction d’équations non linéaires.
Il s’est avéré légèrement moins précis qu’un ordinateur purement matériel fonctionnant grâce à l’intelligence artificielle, mais cette recherche constitue un premier pas important vers un nouveau type d’architecture informatique. Toutefois, si Guo et ses collègues ont respecté les lignes directrices en matière d’éthique lors du développement du Brainoware, plusieurs chercheurs de l’université Johns Hopkins soulignent, dans un commentaire connexe, l’importance de garder à l’esprit les considérations éthiques lors de l’expansion de cette technologie.
Lena Smirnova, Brian Caffo et Erik C. Johnson, qui n’ont pas participé à l’étude, mettent en garde :
À mesure que la sophistication de ces systèmes organoïdes augmente, il est essentiel que la communauté examine la myriade de questions neuroéthiques qui entourent les systèmes de bio-informatique incorporant des tissus neuronaux humains.
Le cerveau humain est tout à fait étonnant. On estime qu’il contient en moyenne 86 milliards de neurones et jusqu’à un quadrillion de synapses. Chaque neurone est connecté à 10 000 autres neurones, qui s’activent et communiquent entre eux en permanence.
À ce jour, la simulation de l’activité cérébrale dans un système artificiel n’est qu’effleurée. En 2013, le K Computer de Riken, qui était alors l’un des superordinateurs les plus puissants au monde, a tenté d’imiter le cerveau. Avec 82 944 processeurs et un pétaoctet de mémoire centrale, il lui a fallu 40 minutes pour simuler une seconde d’activité de 1,73 milliard de neurones connectés par 10,4 trillions de synapses, soit à peine 1 à 2 % du cerveau.
Ces dernières années, les scientifiques et les ingénieurs ont tenté de s’approcher des capacités du cerveau en concevant du matériel et des algorithmes qui imitent sa structure et son fonctionnement. Connue sous le nom “d’informatique neuromorphique”, cette méthode s’améliore, mais elle est gourmande en énergie et l’entraînement des réseaux neuronaux artificiels prend beaucoup de temps.
Guo et ses collègues ont tenté une approche différente en utilisant du tissu cérébral humain réel cultivé en laboratoire. Des cellules souches pluripotentes humaines ont été incitées à se développer en différents types de cellules cérébrales qui se sont organisées en mini-cerveaux tridimensionnels appelés organoïdes, dotés de connexions et de structures. Il ne s’agit pas de véritables cerveaux, mais de simples arrangements de tissus dépourvus de toute forme de pensée, d’émotion ou de conscience. Ils sont utiles pour étudier le développement et le fonctionnement du cerveau, sans avoir à manipuler un véritable être humain.
Le Brainoware se compose d’organoïdes cérébraux reliés à un réseau de microélectrodes à haute densité, utilisant un type de réseau neuronal artificiel connu sous le nom de « reservoir computing« . La stimulation électrique transporte des informations dans l’organoïde, le réservoir dans lequel ces informations sont traitées avant que Brainoware ne produise ses calculs sous la forme d’une activité neuronale. Le matériel informatique normal est utilisé pour les couches d’entrée et de sortie. Ces couches ont dû être entraînées à fonctionner avec l’organoïde, la couche de sortie lisant les données neuronales et effectuant des classifications ou des prédictions sur la base des données d’entrée.
Exemple d’un des organoïdes et de son activité neuronale scannée. (H. Cai et col./ Nature Electronics)
Pour faire la démonstration du système, les chercheurs ont donné à Brainoware 240 clips audio de 8 locuteurs masculins prononçant des voyelles japonaises et lui ont demandé d’identifier la voix d’une personne en particulier. Ils ont commencé avec un organoïde naïf. Après seulement deux jours d’entraînement, Brainoware a pu identifier le locuteur avec une précision de 78 %.
Ils ont également demandé à Brainoware de prédire l’attracteur de Hénon, un système dynamique qui présente un comportement chaotique. Ils ont laissé Brainoware apprendre sans supervision pendant quatre jours, chaque jour représentant une période d’apprentissage, et ils ont constaté qu’il était capable de prédire la carte avec une meilleure précision qu’un réseau neuronal artificiel dépourvu d’unité de mémoire à long terme. Brainoware était légèrement moins précis que les réseaux neuronaux artificiels dotés d’une unité de mémoire à long terme, mais ces réseaux avaient chacun subi 50 épisodes de formation. Brainoware a obtenu presque les mêmes résultats en moins de 10 % du temps de formation.
Selon les chercheurs :
En raison de la grande plasticité et de l’adaptabilité des organoïdes, Brainoware a la flexibilité de changer et de se réorganiser en réponse à la stimulation électrique, ce qui met en évidence sa capacité d’informatique adaptative de réservoir.
Il existe encore d’importantes limitations, notamment la question du maintien des organoïdes en vie et en bonne santé, ainsi que les niveaux de consommation électrique des équipements périphériques. Mais si l’on garde à l’esprit les considérations éthiques, Brainoware a des implications non seulement pour l’informatique, mais aussi pour comprendre les mystères du cerveau humain.
Selon Smirnova, Caffo et Johnson :
Il faudra peut-être des décennies avant de pouvoir créer des systèmes de bio-informatique généraux, mais cette recherche est susceptible de générer des connaissances fondamentales sur les mécanismes d’apprentissage, le développement neuronal et les implications cognitives des maladies neurodégénératives. Elle pourrait également aider à développer des modèles précliniques de troubles cognitifs pour tester de nouvelles thérapies.
L’étude publiée dans Nature electronics : Brain organoid reservoir computing for artificial intelligence.