Des humains modernes étaient déjà présents en Europe du Nord il y a 45 000 ans
La surprenante découverte de restes humains dans une grotte allemande a « fondamentalement changé » l’histoire des migrations de notre espèce en Europe.
Elle suggère que l’Homo sapiens a probablement atteint l’Europe du Nord il y a 47 500 ans, chevauchant ainsi la présence des Néandertaliens.
Image d’entête : représentation artistique d’un père néandertalien et sa fille. (Tom Bjorklund/ Institut Max Planck)
L’analyse détaillée d’outils en pierre provenant d’une grotte réexplorée près du village allemand de Ranis, à environ 240 km au sud-ouest de Berlin, a été menée par un grand groupe dirigé par des chercheurs de l’Institut Max Planck d’anthropologie évolutive (Allemagne). Leurs conclusions ont été publiées cette dans trois grandes études (liens plus bas).
À Ranis, le groupe a fouillé une grotte locale appelée « Ilsenhöhle », qui était le site d’une fouille précédente dans les années 1930 qui a permis de trouver plusieurs pièces datées du Paléolithique moyen et du début du Paléolithique supérieur de l’Europe du Nord, il y a environ 43 000 ans.
Le site de la grotte Ilsenhöhle sous le château de Ranis. La grotte a été fouillée pour la première fois il y a plus de 90 ans, puis réexplorée entre 2016 et 2022. (Tim Schüler TLDA/ UC Berkeley)
Les découvertes de cette période ont été classées comme faisant partie du Jerzmanowicien (ou Lincombien-Ranisien-Jerzmanowicien (LRJ)), considéré comme une période de transition importante entre le Paléolithique moyen et le début du Paléolithique supérieur dans cette partie de l’Allemagne centrale. Une caractéristique notable des objets de cette période est l’apparition de « leaf points » (pointes en feuilles) sur les lames utilisées par les occupants de la région à l’époque.
Outils en pierre LRJ découverts dans la grotte d’Ilsenhöhle en Allemagne. (Josephine Schubert, Musée Burg Ranis)
En fouillant à nouveau le site, les chercheurs espéraient découvrir des couches de roches LRJ jusqu’alors inaccessibles et obtenir davantage de détails sur les occupants néandertaliens d’Ilsenhöhle-Ranis. Ce faisant, ils ont fait une découverte inattendue.
Des ouvriers au fond de la tranchée de 8 mètres de profondeur creusée à Ranis, en Allemagne, pour retrouver des preuves de la présence d’hominidés dans la région il y a 45 000 ans. (Marcel Weiss/ UC Berkeley)
Selon Marcel Weiss, archéologue à l’université Friedrich-Alexander d’Erlangen-Nuremberg (Allemagne) :
Le défi consistait à fouiller la séquence complète de 8 mètres de haut en bas, en espérant que certains dépôts [LRJ] aient été laissés par les fouilles des années 1930. Nous avons eu la chance de trouver un rocher de 1,7 m d’épaisseur que les excavateurs précédents n’avaient pas réussi à franchir. Après avoir enlevé cette roche à la main, nous avons finalement découvert les couches du LRJ et même des fossiles humains. Ce fut une grande surprise, car aucun fossile humain n’était connu du LRJ auparavant, et ce fut une récompense pour le travail acharné effectué sur le site.
Jusqu’à présent, le LRJ était associé à l’occupation néandertalienne dans toute la région. La découverte d’autres vestiges du LRJ et de fossiles humains indique que l’Homo sapiens a habité le centre de l’Allemagne à la même époque.
Selon Jean-Jacques Hublin, professeur de paléoanthropologie au Collège de France :
Il s’avère que des objets en pierre que l’on pensait produits par les Néandertaliens faisaient en fait partie de la trousse à outils des premiers Homo sapiens. Cela modifie fondamentalement nos connaissances antérieures sur cette période : L’Homo sapiens a atteint le nord-ouest de l’Europe bien avant la disparition des Néandertaliens dans le sud-ouest de l’Europe.
Ces fossiles humains ont été découverts parmi des milliers de fragments d’os. Il ne s’agit pas seulement d’ossements humains, mais aussi de mammifères qui auraient utilisé Ilsenhöhle-Ranis comme abri.
Fragment d’os humain provenant des nouvelles fouilles de Ranis. Elena Zavala, post-doctorante à l’UC Berkeley, a analysé l’ADN de nombreux fragments d’os trouvés à Ranis et a découvert que bon nombre d’entre eux provenaient d’humains modernes, Homo sapiens. (Tim Schüler TLDA)
Selon Geoff Smith, zooarchéologue à l’université du Kent, au Royaume-Uni :
La grotte de Ranis a été utilisée de manière intermittente en en tanière pour des hyènes, des ours des cavernes en hibernation et de petits groupes d’humains.
Les autres ossements étaient probablement des restes de gibier, de la nourriture chassée par ces premiers humains dans la région environnante, notamment des rennes, des chevaux et des rhinocéros laineux.
Toujours selon Smith :
Bien que ces hommes n’aient utilisé la grotte que pendant de courtes périodes, ils consommaient de la viande provenant de divers animaux, dont le renne, le rhinocéros laineux et le cheval. Bien que les os aient été brisés en petits morceaux, ils étaient exceptionnellement bien conservés et nous ont permis d’appliquer les dernières méthodes de pointe de la science archéologique, de la protéomique et de la génétique.
Les chercheurs ont ensuite appliqué leurs tests génétiques aux restes obtenus lors des fouilles et à d’autres échantillons d’ADN prélevés dans les sédiments trouvés sur le site. Ils ont ainsi pu confirmer la présence d’ADN humain. Les ossements ont ensuite été soumis à une datation au radiocarbone afin de préciser la période à laquelle ils ont habité les grottes. Cela a permis de situer l’occupation humaine d’Ilsenhöhle-Ranis à environ 47 500 ans.
Il est probable que le climat froid dans lequel vivaient ces humains aurait été semblable aux conditions observées dans la Scandinavie actuelle.
Selon Tim Schüler, archéologue du Thüringisches Landesamt für Denkmalpflege und Archäologie (Office régional de la protection de l’environnement et de l’archéologie de Thuringe) :
Les résultats obtenus à l’Ilsenhöhle de Ranis modifient fondamentalement nos idées sur la chronologie et l’histoire du peuplement de l’Europe au nord des Alpes. Il est particulièrement intéressant de constater que le plus vieil Homo sapiens se trouve en Thuringe, en Allemagne.
Les études publiées dans :
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Nature : Homo sapiens reached the higher latitudes of Europe by 45,000 years ago,
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Nature Ecology & Evolution Stable isotopes show Homo sapiens dispersed into cold steppes ~45,000 years ago at Ilsenhöhle in Ranis, Germany,
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Nature Ecology & Evolution : The ecology, subsistence and diet of ~45,000-year-old Homo sapiens at Ilsenhöhle in Ranis, Germany
… et présentées sur le site de l’Université de Californie à Berkeley : Neanderthals and humans lived side by side in Northern Europe 45,000 years ago.