Primitive Cohabitation : des Néandertaliens et des Dénisoviens ont partagé une grotte sibérienne pendant des milliers d’années
La grotte de Denisova, dans le sud de la Sibérie, a abrité des Néandertaliens et des Dénisoviens pendant des milliers d’années, mais des questions subsistent quant à la période de leur séjour. Deux nouvelles études retracent l’histoire de l’occupation du site, montrant qui y a vécu et quand, avec la possibilité d’une période pendant laquelle les deux espèces aujourd’hui disparues ont cohabité.
Image d’entête : l’entrée de la grotte de Denisova. (Richard Roberts)
Nichée dans les contreforts des montagnes de l’Altaï au sud de la Sibérie, la grotte de Denisova a dévoilé de nombreux vestiges, ainsi que des fossiles de nombreux animaux et au moins deux espèces d’hominidés : les Néandertaliens et les Dénisoviens. La grotte est le seul endroit au monde connu pour avoir des restes des Dénisoviens, qui, comme les Néandertaliens, étaient nos proches cousins évolutifs.
Vue de la vallée depuis le site archéologique de la grotte de Denisova en Russie. (B. Viola, MPI f. Anthropologie évolutionnaire)
Le site est l’un des plus importants pour comprendre l’évolution humaine, mais son étude a été entravée par la difficulté à dater les découvertes. Aujourd’hui, deux études (lien plus bas) révèlent de nouveaux fossiles de Dénisovien, des dizaines de nouvelles dates et une chronologie affinée pour la présence d’hominidés dans la grotte : étapes importantes pour élucider son rôle complexe dans le passé de la vie quotidienne de l’humain.
Connue depuis des décennies comme un important site paléoanthropologique, la grotte de Denisova a révélé son plus grand trésor il y a un peu plus d’une décennie : les restes fragmentés d’un proche parent évolutif, les Dénisoviens. Malgré le peu de reste trouvé, les chercheurs ont pu extraire de l’ADN fossile et établir que les Dénisoviens étaient les plus proches parents des Néanderthaliens.
Des études ADN des hominidés de la grotte ont permis de confirmer que les deux populations se sont, à différents moments et à d’autres endroits, accouplées à l’Homo sapiens et vice-versa. En 2018, d’autres restes partiels provenant de la grotte se sont avéré provenir du premier individu hybride néandertalien-dénisovien connu.
Malheureusement, l’analyse complète des fossiles et des objets trouvés sur le site fut problématique parce qu’il est difficile d’établir une datation précise. L’âge de nombreuses découvertes dépasse les limites de la datation au radiocarbone.
Bien que d’autres méthodes de datation aient des intervalles plus longs, elles datent généralement les sédiments dans lesquels se trouvent les objets et non les objets eux-mêmes. C’est un problème à Denisova parce que les couches sédimentaires ont été perturbées dans plusieurs zones par des activités telles que le piétinement, l’activité d’animaux et autre. La région est également sujette à des cycles de gel-dégel qui peuvent pousser les couches vers le haut ou vers le bas, de façon irrégulière, car les températures du sol et de l’air fluctuent considérablement. Il est facile pour des fragments de fossiles et de petits objets d’être poussés d’une couche à l’autre dans un tel chaos.
Dans les études publiées cette semaine, deux équipes ont adopté des approches différentes pour élucider le cadre complexe de la grotte et établir un calendrier d’occupation du site plus précis pour les Dénisoviens et les Néanderthaliens.
Une équipe a obtenu 50 dates radiocarbone à partir de matériaux prélevés dans des zones qui n’avaient pas été perturbées auparavant. Le matériel comprenait du charbon de bois et des objets, comme des dents de cerfs et de wapitis qui avaient été modifiées par des hominidés. Certains de ces objets, comprenant des pendentifs de dents et des pointes d’os, se sont avérés être les plus anciens artefacts du nord de l’Eurasie, produits il y a entre 43 000 et 49 000 ans. Il n’a toutefois pas été possible de déterminer quel hominidé a fabriqué ces objets.
Anciens objets artisanaux de la grotte de Denisova qui comprennent des anneaux (a), des pendentifs (b) et une aiguille (c). (Z. Jacobs et coll./ Nature)
Les chercheurs ont également analysé plus de 2 000 fragments d’os et en ont trouvé trois avec des signatures chimiques suggérant qu’ils provenaient d’hominidés. Une analyse supplémentaire a révélé qu’un des fragments contenait de l’ADN mitochondrial compatible avec les Néandertaliens. Sur les deux autres fragments, l’un ne contenait aucune preuve d’ADN fossile et l’autre est toujours à l’analyse.
L’équipe s’est concentrée sur la datation de la plupart des nouveaux fragments fossiles et de ceux qui avaient été mis à jour précédemment en comparant les séquences d’ADN fossile, en identifiant les subtils changements et en déterminant combien de temps il fallait pour que ces changements apparaissent. Cette méthode de datation par analyse génétique est nouvelle et repose sur le fait que l’ADN de chaque espèce, de chaque population, évolue dans le temps à son propre rythme connu.
Natalia Belousova (Académie des sciences de Russie) et Tom Higham prélèvent des échantillons dans la salle principale de la grotte Denisova. (Sergey ZELINSKI, Académie Russe des sciences)
La méthode, bien que prometteuse, n’a pas encore été mise au point, ce que les auteurs reconnaissent. Leur recherche représente cependant la première tentative d’étude sur les hominidés de la grotte de Denisova.
En combinant les nouvelles informations avec les données précédemment rapportées, l’équipe a déterminé que le plus ancien fossile Dénisovien de la grotte pourrait avoir jusqu’à 195 000 ans. Le plus jeune fossile de Dénisovien a entre 52 000 et 76 000 ans. Entre-temps, tous les fossiles néandertaliens, ainsi que l’hybride Dénisovien-Neandertalien décrit l’an dernier, avaient entre 80 000 et 140 000 ans.
La deuxième équipe a effectué une minutieuse analyse stratigraphique des trois cavités de la grotte, déterminant plus de 100 nouvelles références de datation pour les couches déposées depuis des millénaires. Ces travaux ont permis aux chercheurs d’établir une nouvelle chronologie plus précise des fossiles, objets et autres matériaux trouvés à Denisova. L’équipe a utilisé une méthode de datation appelée luminescence optiquement stimulée, qui permet de déterminer quand certains minéraux des couches ont été exposés à la lumière du Soleil pour la dernière fois.
Comme ils se sont concentrés sur la datation des couches de la grotte elle-même, plutôt que sur la datation directe des fossiles et des objets comme l’autre équipe, les conclusions des chercheurs sont différentes de celles de leurs collègues, mais non contradictoires.
L’analyse stratigraphique suggère que les Dénisoviens étaient présents dans la grotte à partir d’il y a au moins 287 000 ans et jusqu’à environ 55 000 ans. Ils ont déterminé une présence néandertalienne à partir d’il y a environ 193 000 ans jusqu’à il y a 97 000 ans. Cette chronologie correspond à peu près aux dates fossiles, ce qui suggère une longue période de présence de Dénisoviens sur le site, ponctuée d’une présence néandertalienne plus courte.
Les différences dans les résultats peuvent être le résultat de la méthode de datation génétique utilisée pour les fossiles. La modélisation de l’âge basée sur l’ADN est une approche nouvelle et audacieuse qui est encore en cours de perfectionnement. Les incohérences peuvent également être dues à des perturbations dans les sédiments après le dépôt des fossiles, soit en raison de l’activité animale ou des cycles de gel-dégel.
Ces études constituent toutefois un grand pas en avant dans la compréhension du passé complexe de la grotte, y compris de ses anciens habitants.
En ce qui concerne la présence de l’Homo sapiens pendant ces périodes, il n’y a rien de certain. Aucun fossile définitif d’H. sapiens n’a été trouvé dans la grotte de Denisova pendant les mêmes périodes que les restes de Néandertal et de Dénisovien, bien que les restes d’hominidés sur le site soient généralement fragmentés et que beaucoup ne soient pas étudiés. Certains chercheurs ont attribué quelques-uns des objets du site à des humains modernes en fonction de leur style. En 2014, une équipe a séquencé l’ADN d’un fémur trouvé sur un autre site dans le sud de la Sibérie et elle a déterminé qu’il appartenait à un humain moderne qui vivait il y a environ 45 000 ans, établissant que notre espèce était dans la région à cette époque, sinon avant.
Les deux études publiées dans Nature :