Des scientifiques trouvent un moyen de convertir les groupes sanguins et de les rendre mutuellement compatibles pour la transfusion
Les transfusions sanguines sauvent souvent la vie des patients qui ont désespérément besoin de remplacer leur sang perdu à la suite d’une intervention chirurgicale ou d’une blessure. Le problème est que les réserves de sang sont faibles dans le monde entier. Pour ne rien arranger, il existe plusieurs groupes sanguins, dont certains sont incompatibles. Par exemple, si votre groupe sanguin est O négatif, vous ne pouvez recevoir que du sang de type O négatif.
O négatif est le type de donneur universel, compatible avec n’importe quel groupe sanguin puisqu’il est dépourvu de certains antigènes à la surface de ses cellules sanguines. Cependant, seulement 8 % des personnes ont du sang O négatif. De plus, outre les principaux groupes sanguins, il existe des centaines d’antigènes pour les globules rouges, dont certains sont propres à des groupes raciaux et ethniques.
L’année dernière, par exemple, la Croix-Rouge américaine, qui collecte et distribue environ 40 % des dons de sang du pays, a annoncé qu’elle était confrontée à de graves pénuries de sang. De nombreuses opérations chirurgicales ont dû être annulées, car les hôpitaux et les médecins n’étaient pas sûrs de disposer de suffisamment de sang pour opérer en toute sécurité. La France n’est pas en reste et le don de sang n’est pas une simple action caritative : c’est un acte désintéressé qui permet de sauver des vies et que la plupart d’entre nous peuvent accomplir de temps à autre. Mais en réalité, les donneurs ne sont pas si nombreux. Cependant, de nouvelles recherches apportent une solution inattendue à ce problème.
Des chercheurs de l’université technique du Danemark (DTU) et de l’université de Lund en Suède ont découvert une méthode étonnante pour convertir le sang de type A et B en sang de donneur universel. La technique fait appel à de puissantes enzymes qui débarrassent les globules rouges des antigènes et des sucres responsables de la distinction des groupes sanguins.
Ces enzymes, dérivées de bactéries intestinales humaines, éliminent non seulement les antigènes A et B courants, mais aussi des variantes auparavant inconnues qui présentent des risques lors des transfusions. Ces résultats laissent entrevoir un avenir proche où le sang des donneurs du groupe B pourrait être universellement compatible. D’autres travaux sont toutefois nécessaires pour traiter le sang du groupe A, plus complexe.
Selon l’auteur principal, le professeur Maher Abou Hachem de DTU, l’un des principaux scientifiques à l’origine de la découverte :
Notre objectif est maintenant d’étudier en détail s’il existe d’autres obstacles et comment nous pouvons améliorer nos enzymes pour atteindre l’objectif ultime de la production universelle de sang.
La demande de sang des donneurs reste élevée, en raison du vieillissement de la population et de la prévalence croissante des procédures médicales nécessitant des transfusions sanguines. La gestion et le stockage séparés des différents groupes sanguins nécessitent une logistique importante, ce qui fait grimper les coûts et complique les procédures médicales. Le traitement enzymatique mis au point par les équipes de recherche promet de simplifier considérablement ces processus. En convertissant le sang spécifique à un groupe en un groupe de donneurs universels, les hôpitaux peuvent rationaliser leurs chaînes d’approvisionnement en sang, réduire les déchets liés au sang inutilisé et éviter les risques graves associés aux transfusions de sang non compatible.
Au niveau le plus élémentaire, il existe quatre grandes catégories de sang humain : A, B, AB et O. Cette classification est basée sur les antigènes présents sur les globules rouges et les anticorps présents dans le plasma. Le sang de type A contient des antigènes A sur les globules rouges et des anticorps anti-B dans le plasma. Le sang de type B contient des antigènes B et des anticorps anti-A dans le plasma. Il ne faut jamais transfuser des groupes sanguins incompatibles, sous peine de provoquer une catastrophe. Par exemple, supposons qu’un patient ayant du sang de type B reçoive du sang de type A. Dans ce cas, les anticorps anti-A présents dans le plasma du receveur attaqueront les antigènes A des cellules sanguines du donneur, entraînant des complications potentiellement mortelles.
Schéma montrant comment les enzymes intestinales agissent pour éliminer les antigènes du sang de type A et B. (Nature)
L’idée d’éliminer les antigènes à l’aide d’enzymes n’est pas nouvelle. En fait, les chercheurs éliminent les antigènes A et B depuis des décennies. Toutefois, les précédentes tentatives n’ont pas permis d’éviter toutes les réactions immunitaires liées au sang converti. C’est pourquoi ce type de sang n’est pas utilisé en clinique. Ces méthodes utilisaient également des enzymes beaucoup moins efficaces que celles utilisées dans cette technique.
Selon le professeur Martin L. Olsson de l’université de Lund :
Le sang universel permettra d’utiliser plus efficacement le sang des donneurs et d’éviter les transfusions par erreur de sang ABO non compatible, qui peuvent avoir des conséquences potentiellement fatales pour le receveur. Lorsque nous pourrons créer du sang de donneur ABO-universel, nous simplifierons la logistique du transport et de l’administration de produits sanguins sûrs, tout en minimisant les déchets sanguins.
La nouvelle technique mise au point par les chercheurs scandinaves repose sur les enzymes de la bactérie intestinale humaine Akkermansia muciniphila. Cette bactérie se nourrit du mucus qui tapisse l’intérieur de l’intestin. Les chercheurs ont appris que les sucres complexes à la surface de la muqueuse intestinale sont chimiquement très proches des antigènes. Pour leur étude, les chercheurs ont testé 24 enzymes, qui ont été utilisées pour traiter des centaines d’échantillons de sang.
Une demande de brevet ayant été déposée pour les nouvelles enzymes et leur méthode d’utilisation, l’équipe planifie un projet commun pour affiner son approche, en vue d’essais contrôlés sur des patients et, à terme, d’une application clinique.
L’étude publiée dans la revue Nature Microbiology : Akkermansia muciniphila exoglycosidases target extended blood group antigens to generate ABO-universal blood et présentée sur le site de l’Université technique du Danemark : Enzymes open new path to universal donor blood.