La vie s’est épanouie alors que le champ magnétique de la Terre a failli disparaître il y a 590 millions d’années
Le champ magnétique terrestre a failli s’effondrer il y a quelque 590 millions d’années, exposant vraisemblablement la vie à la surface de la planète à un risque d’augmentation du rayonnement cosmique.
Image d’entête : cette visualisation montre le champ magnétique autour de la Terre, ou magnétosphère. (Greg Shirah et Tom Bridgman, NASA/Goddard Space Flight Center Scientific Visualization Studio)
Selon de nouvelles recherches, l’affaiblissement temporaire du bouclier magnétique aurait pu être tout sauf une catastrophe biologique. En fait, il pourrait avoir augmenté les niveaux d’oxygène, créant ainsi les conditions idéales pour l’épanouissement des premières formes de vie.
Selon Wentao Huang, spécialiste de la Terre à l’université de Rochester (États-Unis), et ses collègues dans leur nouvelle étude (lien plus bas) :
Le champ magnétique terrestre était dans un état très inhabituel lorsque les animaux macroscopiques de la faune de l’Édiacarien se sont diversifiés et ont prospéré.
En 2019, des scientifiques étudiant les empreintes magnétiques de roches provenant du Canada ont rapporté que ces échantillons indiquaient que le champ magnétique terrestre s’était affaibli pour atteindre son niveau le plus bas connu il y a environ 565 millions d’années, au cours de la période de l’Édiacarien, lorsque la vie multicellulaire prenait forme. Cependant, on a longtemps pensé qu’un champ magnétique très faible serait préjudiciable à la vie naissante, car le champ magnétique terrestre protège la vie des vents solaires.
Tout le monde n’était pas d’accord avec cette vision catastrophique. Dès 1965, le planétologue Carl Sagan affirmait que l’atmosphère et les océans de la Terre auraient pu servir de couverture protectrice aux premières formes de vie, même si le champ magnétique de la planète s’affaiblissait. Cette hypothèse a été confirmée par des modélisations récentes (2019). Mais tout lien entre une baisse simultanée du champ magnétique, l’essor de la vie édiacarienne et l’augmentation des niveaux d’oxygène est resté, comme l’ont dit Huang et ses collègues, « tentant mais peu clair ». Les résultats canadiens pourraient être une aberration.
Huang et ses collègues se sont donc mis à creuser. Ils ont déterré des roches ignées d’Afrique du Sud qui se sont formées il y a des milliards d’années et ils ont étudié les cristaux qu’elles contiennent ainsi que d’autres roches vieilles de 591 millions d’années prélevées au Brésil. Ces cristaux contiennent de minuscules minéraux magnétiques qui préservent l’intensité du champ magnétique terrestre lors de leur formation.
Il y a un peu plus de 2 milliards d’années, en plein milieu de la période paléoprotérozoïque, le champ magnétique terrestre était puissant. Les chercheurs ont constaté qu’environ 1,5 milliard d’années plus tard, il est tombé à son niveau le plus bas, environ 30 fois plus faible qu’aujourd’hui.
En combinant leurs résultats avec ceux de l’étude canadienne de 2019, Huang et ses collègues concluent que ce faible champ magnétique (appelé ultra-low time-averaged field intensity, ou UL-TAFI) a duré au moins 26 millions d’années, de 591 à 565 millions d’années. Par hasard, cet intervalle coïncide avec une augmentation des niveaux d’oxygène atmosphérique et océanique il y a environ 575 à 565 millions d’années, au cours de l’Édiacarien tardif, qui a également été marqué par une explosion de la biodiversité.
Selon Huang et ses collègues :
Les nouvelles données confirmant et élargissant l’UL-TAFI renforcent un lien potentiel avec l’évolution édiacarienne des animaux macroscopiques.
Mais il restait à comprendre comment un champ magnétique “ultra faible” pouvait entraîner une augmentation des niveaux d’oxygène. En modélisant l’évolution du vent solaire, Huang et ses collègues suggèrent que l’affaiblissement du champ magnétique a pu permettre à davantage d’ions hydrogène de s’échapper de l’atmosphère terrestre vers l’espace, ce qui a pu entraîner des niveaux d’oxygène plus élevés dans les mers et les cieux, favorisant ainsi la diversification de la vie à l’Édiacarien. La date de la fin de l’Édiacarien, il y a environ 540 millions d’années, est surprenante : c’est généralement l’explosion cambrienne qui est considérée comme le point culminant de l’évolution, donnant naissance à des formes de vie complexes qui sont devenues les animaux et les insectes que nous connaissons aujourd’hui. L’Édiacarien, en revanche, est connu pour ses créatures gluantes qui ressemblent aux éponges, limaces et anémones de mer primordiales. Il s’agit d’une période de grande expérimentation évolutive qui s’est soldée par de nombreuses impasses et qui a été marquée par une forte diminution de la biodiversité avant que la vie ne rebondisse au Cambrien.
Des recherches récentes suggèrent cependant que les premiers écosystèmes complexes pourraient s’être formés à l’Édiacarien, une étude de 2022 décrivant des structures communautaires de plus en plus complexes dans des fossiles de la fin de l’Édiacarien. Mais la vie a besoin d’oxygène pour se développer et se complexifier. Les animaux marins microscopiques et les éponges peuvent survivre dans des océans à faible teneur en oxygène, mais les animaux plus grands, mobiles et dotés d’un système corporel complexe ont besoin d’une plus grande quantité d’oxygène pour répondre à leurs besoins métaboliques.
Toujours selon Huang et ses collègues :
Un écosystème animal complexe impliquant de longues chaînes alimentaires et des prédateurs nécessite des quantités d’oxygène encore plus importantes, comme l’indique l’exclusion de ces écosystèmes complexes de la zone moderne de minimum d’oxygène.
Il semble que la vie édiacarienne ait saisi son moment lorsque le champ magnétique terrestre s’est estompé, même si nombre de ces créatures étaient destinées à se retrouver dans une impasse évolutive.
L’étude publiée dans Communications Earth & Environment : Near-collapse of the geomagnetic field may have contributed to atmospheric oxygenation and animal radiation in the Ediacaran Period.