Sur les bienfaits de la diarrhée… parce qu’il y en a !
Pendant des siècles, des scientifiques ont tenté de définir l’utilité de la diarrhée et pourquoi exactement nous devons l’endurer.
Bien qu’il soit logique que son objectif soit d’éliminer les infections aussi rapidement que possible, il y a eu un manque surprenant de preuves biologiques pour étayer cette hypothèse. Récemment, des chercheurs ont approfondi nos connaissances sur la science de la diarrhée pour trouver que nous pourrions nous faire plus de mal que de bien en essayant de l’empêcher.
Selon l’un des membres de l’équipe, Jerrold Turner, du Brigham and Women’s Hospital de Boston (Etats-Unis) :
L’hypothèse selon laquelle la diarrhée élimine les pathogènes intestinaux a été débattue depuis des siècles. Son impact sur la progression des infections intestinales reste mal compris. Nous avons cherché à définir le rôle de la diarrhée et à voir si la prévention pourrait réellement retarder la clairance des agents pathogènes et prolonger la maladie ».
Turner et son équipe s’intéressaient à un aspect clé de la diarrhée : comment cette eau passe-t-elle par la paroi intestinale et dans le produit final ?
En travaillant avec des souris souffrant de la “diarrhée du voyageur”, causée par une infection bactérienne, les chercheurs ont examiné la muqueuse intestinale des rongeurs pour déterminer la quantité d’eau pouvant la traverser afin de faciliter la diarrhée.
Les souris ont été infectées par la bactérie Citrobacter rodentium, l’équivalent pour les rongeurs d’une infection par l’E. coli.
L’équipe a découvert qu’en réponse à l’infection, les cellules immunitaires ont commencé à se déplacer vers la paroi intestinale et elles ont déclenché la production d’une protéine appelée interleukine-22. Cette protéine a fusionné avec des cellules dans la muqueuse intestinale et les a poussées à produire une seconde protéine, appelée claudin-2 (CLDN2). La fonction de cette protéine est de se coordonner avec les cellules pour former de grandes ouvertures dans la paroi intestinale, laissant ainsi passer plus d’eau.
Tout cela s’est produit en seulement deux jours d’infection, bien avant que l’inflammation et les lésions tissulaires commencent à rendre l’infection plus évidente.
L’activité de la claudin-2 a déjà été observée chez les humains, mais ce sont les premiers signes de l’interaction entre elle et l’interleukine-22 dans le cas d’une infection bactérienne. Cela suggère qu’alors que d’avoir la diarrhée n’est pas le meilleur moment de notre vie, ne pas l’avoir pourrait être encore pire.
Ci-dessous, représentation de l’interaction entre l’interleukine-22 (sphère bleue) et la claudin-2 pour lutter contre la bactérie C rodentium. (Pei-Yun Tsai et col./ Cell Host and Microbe)
Ce n’est pas seulement le mécanisme de la diarrhée qui est plus complexe que ce qui avait été supposé, nous avons aussi mal jugé comment elle interagit avec les bactéries pour lutter contre l’infection.
L’équipe a compris cela en observant trois types de souris : un groupe qui fut modifié pour surproduire la claudin-2, un autre dont la capacité à produire la claudin-2 fut bloquée (appelée souris “claudin-2 knock-out”) et un groupe témoin. Comme prévu, le groupe témoin a eu une diarrhée en réponse à l’infection et le groupe surproduisant la claudin-2 eut la diarrhée tout le temps. Mais aucune n’a autant souffert que les souris qui ne pouvaient plus produire de claudin-2 (claudin-2 knock-out).
Malgré le fait qu’elles étaient les seuls à ne pas avoir la diarrhée, elles ont présenté des symptômes beaucoup plus sévères de l’infection que les autres et il a fallu beaucoup plus longtemps pour que leur système immunitaire élimine les bactéries.
Dans les premiers stades de l’infection, les souris claudin-2 knock-out ont subi des dégâts tissulaires beaucoup plus importants que les deux autres groupes et une plus grande prolifération des bactéries. Mais au 11e jour de l’infection, la diarrhée s’est finalement installée et elle est restée « significativement plus importante » que les deux autres groupes jusqu’au 21e jour.
Les chercheurs suggèrent que si le corps n’est pas capable de se mettre en “mode diarrhée” pour éliminer l’infection, facilitée par l’activité de l’interleukine-22 et de la claudin-2, il va commencer à décomposer sa propre doublure intestinale pour forcer l’eau à la traverser.
Il est important de noter que l’expérience n’a été réalisée jusqu’ici que chez des souris, donc jusqu’à ce que nous l’observions chez l’homme, il est trop tôt pour dire que le même processus se produit dans notre corps. Mais les humains produisent la protéine interleukine-22, donc elle pourrait être responsable du déclenchement de la production de diarrhée chez nous aussi.
Et ce que montre également cette étude, c’est que tout médicament conçu pour bloquer son activité ou celle de la claudin-2 pourrait engendrer plus de mal que de bien. Nous avons sous-estimé son importance dans la prévention des infections plus graves et plus longues.
L’étude publiée dans Cell Host and Microbe : IL-22 Upregulates Epithelial Claudin-2 to Drive Diarrhea and Enteric Pathogen Clearance.