Comment chasser façon Neandertal
L‘analyse médico-légale d’une paire de squelettes de cerfs âgés de 120 000 ans montre que les Néandertaliens utilisaient des lances en bois pour tuer leurs proies. Les résultats, publiés cette semaine, constituent la plus ancienne preuve sans ambiguïté de la chasse à la lance par les hominidés.
Image d’entête : vue de face et de dos d’une lésion de chasse dans une vertèbre cervicale d’un daim éteint, tué par des Néanderthaliens il y a 120 000 ans sur une rive d’un lac près de l’actuelle Halle en Allemagne. (Eduard Pop/ MONREPOS/ Musée de l’évolution du comportement humain, Römisch-Germanisches Zentralmuseum, Leibniz-Institut de recherche en archéologie)
Les ancêtres de l’humanité comptaient sur les animaux comme ressource alimentaire depuis au moins 2,5 millions d’années, mais il est difficile de savoir quand l’acquisition de viande est passée d’une activité de charognardage opportuniste à la chasse.
Les plus anciens objets connus qui ont été potentiellement utilisés pour la chasse incluent un objet de type lance en bois d’environ 400 000 ans trouvé à Clacton-on-Sea en Angleterre, ainsi que plusieurs lances en bois trouvées à Schöningen, en Allemagne, qui ont au moins 300 000 ans.
Pourtant, la manière dont ces armes ont été utilisées au Paléolithique moyen, il y a 300 000 à 50 000 ans, reste ambiguë. Par exemple, une lance en bois peut avoir été utilisée pour faciliter le vol agressif de carcasses tuées par d’autres prédateurs, plutôt que comme instrument d’abattage.
Les marques de blessures, ou « lésions de chasse », sur les restes d’animaux peuvent constituer une source précieuse de preuves des comportements de chasse. Les marques sont les restes de blessures guéries et non guéries, et peuvent indiquer le type d’arme qui a pu être utilisé, la direction de l’impact et la force qui a dû être appliquée.
Malheureusement, les lésions de chasse non ambiguës ne sont pas faciles à trouver. Quelques exemples de marques potentielles ont été découverts sur des sites en Angleterre et en Afrique du Sud, datant d’il y a entre 500 000 et 100 000 ans.
Mais ce n’est qu’au Paléolithique supérieur, il y a 50 000 à 10 000 ans, que l’on trouve des preuves évidentes de chasse, où des pointes de lance en pierre sont incrustées dans des restes squelettiques, comme ceux trouvés dans un os d’âne sauvage vieux de 50 000 ans à Umm el Tlel, en Syrie, ou dans un os de mammouth de 29 000 ans dans l’Arctique sibérien.
Cette semaine, une étude menée par des chercheurs en Allemagne et aux Pays-Bas révèle des preuves solides de chasse à la lance à courte distance par des Néandertaliens, il y a environ 120 000 ans.
Lorsqu’un site du Paléolithique moyen en Allemagne appelé Neumark-Nord a été fouillé il y a quelques décennies, les archéologues ont trouvé de nombreuses traces de présence néandertalienne, ainsi que de nombreux restes d’animaux.
Récemment, Sabine Gaudziniski-Windheuser du centre de recherche archéologique Monrepos (Centre and Museum for Human Behavioural Evolution) en Allemagne a réanalysé deux squelettes mâles de daims de la collection.
À l’aide d’un microscope numérique à haute résolution, elle et ses collègues ont analysé les perforations du bassin et des vertèbres des squelettes et ils ont conclu que les blessures correspondaient à celles causées par des lances en bois, comme celles trouvées sur les sites de Clacton-on-Sea et de Schöningen.
Angle d’impact estimé par rapport à un daim debout pour une lésion de chasse observée dans le bassin d’un daim éteint, tué par des Neandertals il y a 120 000 ans sur une rive de lac près de l’actuelle Halle (Allemagne). (Eduard Pop/ MONREPOS/ Musée de l’évolution du comportement humain, Römisch-Germanisches Zentralmuseum, Leibniz-Institut de recherche en archéologie)
Les chercheurs ont ensuite effectué une analyse balistique à l’aide d’une lance à en bois qu’ils ont utilisé pour perforer des échantillons d’os de cerf élaphe (Cervus elaphus), de taille similaire à celle du cerf du Pléistocène trouvé à Neumark.
Ce faisant, Gaudziniski-Windheuser et ses collègues ont pu produire des marques de blessures très similaires à celles trouvées dans les restes originaux. Ceci, ainsi que l’analyse de l’angle d’impact et du niveau de force nécessaire pour infliger les blessures, suggère que le cerf a été tué par des coups de lance à courte portée.
Les résultats appuient l’idée que les Néandertaliens étaient des chasseurs actifs, utilisant des lances en bois pour chasser à courte distance. Cela aurait été risqué et aurait probablement exigé une coopération étroite entre les individus afin de prendre l’avantage sur les proies. Cela aurait pu inclure la planification d’une embuscade ou l’introduction d’une proie dans un cul-de-sac naturel.
Les auteurs proposent que l’utilisation de ce style de chasse par des Néandertaliens ou d’autres hominidés peut donc avoir “façonné le comportement social et la cognition”.
L’étude publiée dans Nature Ecology and Evolution : Evidence for close-range hunting by last interglacial Neanderthals.