Acide, wasabi et piment n’ont aucun impact sur le rat-taupe africain
Des scientifiques ont découvert qu’un rat-taupe africain à moitié aveugle peut supporter autant de wasabi qu’on peut lui donner, pour des raisons qui pourraient mener à de nouveaux antidouleurs chez les humains.
Image d’entête : un rat-taupe africain (Cryptomys hottentotus pretoriae) et une fourmis venimeuse (Myrmicaria natalensis). (Dewald Kleynhans/ Université de Pretoria)
L’équipe, dirigée par Gary Lewin du Max Delbrück Centre for Molecular Medicine à Berlin, en Allemagne, et comprenant des collègues d’Afrique du Sud et de Tanzanie, a fait des expériences avec neuf espèces de rat-taupe, de trois familles pour un test de sensibilité a la douleur culinaire.
Les natifs de l’Afrique de l’Est qui creusent des trous et qui ont des dents de lièvre ont reçu des injections de capsaïcine, le composé responsable de la sensation de brûlure des piments, et d’isothiocyanate d’allyle (AITC), qui donne le goût piquant du wasabi, le condiment japonais souvent mangé avec des sushis. Pour faire bonne mesure, les animaux ont également reçu une dose d’acide chlorhydrique.
Pour voir si les créatures ressentaient de la douleur, l’équipe a mesuré combien de temps elles passaient à soulever et à lécher le membre atteint.
Deux espèces étaient insensibles à l’acide, l’une à la capsaïcine, et une quatrième, le rat-taupe nu (Heterocephalus glaber), montrait une absence de douleur nette pour les deux. Un seul rat, cependant, supportait l’AITC, ce qui, il faut le souligner, donne aussi à la moutarde et au raifort leur punch distinctif.
L’animal en question était le rat à taupe africain (Cryptomys hottentotus pretoriae) qui, selon les chercheurs, était « complètement insensible à l’AITC ».
Rat à taupe africain (Cryptomys hottentotus pretoriae). (Jane Reznick/ MDC)
La grande question est pourquoi.
Il se trouve que l’AITC se trouve dans les racines des plantes qui constituent une part importante de l’alimentation du rat-taupe, de sorte que la capacité à les manger sans problème a pu apparaître comme un avantage évolutif. Mais une question encore plus importante est de savoir comment l’espèce réussit son tour de passe-passe face au wasabi.
Pour le découvrir, l’équipe s’est penchée sur les gènes exprimés dans une partie du système de détection de la douleur du rat, les ganglions spinaux, où les nerfs sensoriels sont reliés à la moelle épinière pour transmettre les messages de douleur au cerveau.
Ils ont découvert qu’un gène, appelé Nalcn, était présent à des concentrations 6 fois plus élevées chez le rat-taupe africain que chez les autres espèces sensibles à l’AITC. Nalcn, en l’occurrence, contrôle l’entrée du sodium dans les cellules nerveuses. Lorsqu’il y en a beaucoup, les cellules nerveuses deviennent perméables au sodium, s’activent moins et sont moins efficaces pour transmettre les messages de douleur au cerveau.
Les propriétés antidouleur du Nalcn semblaient conférer une résistance au wasabi. Mais les chercheurs se demandaient aussi s’ils pouvaient expliquer un autre comportement curieux de l’animal. Il partage son terrier avec une espèce que tous les autres rats-taupes évitent comme la peste : la fourmi Natal (Myrmicaria natalensis).
Selon Lewin :
Ces insectes sont connus pour leur nature agressive et leur venin très piquant.
Si le rat-taupe africain était insensible à la morsure de la fourmi, il pourrait obtenir un avantage de survie en étant capable de cohabiter avec elles.
Mais comment tester la théorie ?
Poursuivant la veine gastronomique, les chercheurs ont mis au point un mélange désagréable fait à partir d’abdomen écrasé des fourmis. Appliquée sur les pattes de deux espèces de rats-taupes, cette substance a entraîné d’importants soulèvements (des pattes) et léchages. Mais le même sirop sur la patte du rat-taupe africain a été accueilli avec indifférence.
Le Nalcn de l’espèce semble également conférer une insensibilité à la piqûre de fourmi. Cependant, les chercheurs avaient besoin d’une dernière vérification pour s’en assurer. Le vérapamil est un médicament utilisé pour les maladies cardiaques et il bloque également les canaux sodiques contrôlés par Nalcn chez le rat. Avec ce produit, les rats-taupes africains ont bien senti la douleur du sirop de fourmi, prouvant ainsi la théorie selon laquelle le Nalcn et les canaux sodium dans les nerfs sont vraiment importants pour la transmission des signaux de douleur.
Selon Lewin :
Parmi les milliers de gènes que nous avons examinés, nous avions manifestement trouvé le gène responsable de la remarquable résistance à la douleur du rat-taupe de Highveld.
Ce qui pourrait être une très bonne nouvelle pour une espèce plus grande.
Cette découverte pourrait bien mener à la mise au point d’analgésiques très efficaces.
L’étude publiée dans Science : Rapid molecular evolution of pain insensitivity in multiple African rodents et présentée sur le site du Max Delbrück Centre for Molecular Medicine : Pain free, thanks to evolution.