Des virus géants aux caractéristiques inédites s’attaqueraient aux microbes dans nos intestins
En passant au crible une foule de gènes prélevés dans de nombreux environnements, dont la salive humaine, les excréments d’animaux, les lacs, les hôpitaux, les sols et bien d’autres encore, les chercheurs ont découvert des centaines de virus géants, dont certains sont dotés de capacités que l’on n’avait jamais vue auparavant dans la vie cellulaire.
Image d’entête : bactériophages à la surface d’une cellule bactérienne. (Graham Beards/ Wikimédia)
L’équipe internationale, dirigée par des scientifiques de l’université de Californie à Berkeley (États-Unis), a découvert de nouveaux groupes entiers de phages géants (bactériophage, des virus qui infectent les bactéries) et elle a reconstitué 351 séquences de gènes.
Ils y ont trouvé des gènes qui codent (pour la fabrication) des choses inattendues, y compris des morceaux de la machinerie cellulaire qui lit et exécute les instructions de l’ADN pour construire des protéines, également connues sous le nom de traduction génétique. Ainsi, ils possèdent un nombre inhabituel de composants de la machinerie de traduction que l’on ne trouve pas sur un virus typique.
Le processus de traduction a lieu dans des structures moléculaires connues sous le nom de ribosomes, et les chercheurs ont en fait trouvé des gènes qui codent pour certains de leurs composants, les protéines ribosomiques.
Selon l’écologiste microbienne Rohan Sachdeva, de l’université de Berkeley :
C’est l’une des principales caractéristiques qui séparent les virus et les bactéries, la vie et la mort.
Certains grands phages ont une grande partie de cette machinerie de traduction, donc ils brouillent un peu la frontière.
L’équipe a également trouvé des séquences pour des systèmes CRISPR, qui se trouve être également le « système immunitaire » utilisé par les bactéries contre les virus…
…le même système que nous, les humains, avons coopté pour nos propres besoins de manipulation génétique (“copier/ Coller génétique”).
Les virus récemment découverts ont tous des génomes de plus de 200 000 paires de bases, alors que la taille moyenne connue des phages est plutôt de l’ordre de 52 000 paires de bases.
Certains génomes de phages identifiés par l’équipe étaient des “trucs véritablement énormes”, d’où le nom avec lequel les chercheurs ont nommé un groupe, les Whopperphage (phage maous/ énorme), et ils ont désigné les 9 autres nouveaux groupes d’après le mot « gros » dans les différentes langues des auteurs qui ont contribué à cette étude.
Les génomes de ces phages sont au moins quatre fois plus grands qu’un phage typique, et le plus grand est 15 fois plus grand, 735 000 bases d’ADN.
On pense que ces plus grands phages infectent les Bacteroidetes, un groupe de bactéries largement dispersées dans notre environnement, du sol à nos intestins.
Les génomes de ces volumineux phages sont suffisamment grands pour rivaliser avec ceux des petites bactéries, mais les pandoravirus qui infectent les amibes détiennent toujours le titre du plus grand génome viral avec 2,5 millions de paires de bases.
Selon Sachdeva de l’Innovative Genomics Institute (un institut qui collabore avec l’université de Californie à Berkeley) :
De gros phages ont déjà été découverts, mais il s’agissait de découvertes ponctuelles. Ce que nous avons trouvé dans cette étude, c’est qu’ils sont essentiellement omniprésents. Nous les trouvons partout.
Comme les autres phages, ils injectent leur ADN dans leur hôte bactérien, détournant le matériel de réplication des gènes de la victime pour en faire des copies.
Les chercheurs soupçonnent que pendant ce temps, les géants utilisent également certains de leurs gènes supplémentaires pour faire capoter les premières étapes de la traduction à l’intérieur de la bactérie, et détourner la production de protéines pour répondre à leurs propres besoins. Un tel contrôle de la création de protéines a également été observé dans des virus d’animaux.
Selon Al-Shayeb, les phages géants utilisent leur système CRISPR pour la guerre phage contre phage, en ciblant spécifiquement les virus concurrents qui tentent d’infecter la même bactérie hôte. Une étude publiée l’année dernière montre comment certains phages utilisent ce système pour contrecarrer les mesures anti-phages que leur bactérie hôte peut déployer.
A partir de l’étude, un énorme phage (sujet 26) infectant une bactérie et manipulant sa réponse à d’autres phages. (Jill Banfield Lab/ UC Berkeley)
Selon Banfield de l’Innovative Genomics Institute :
Le sentiment que nous avons en regardant ces grands génomes est que les phages ont acquis beaucoup de gènes et de voies différentes, dont certains sont prévisibles, d’autres non, pour avoir vraiment pris le contrôle de la fonction des hôtes bactériens pendant l’infection.
À mesure que nous en apprenons davantage sur les liens entre notre santé physique et mentale et les microbes avec lesquels nous partageons notre corps et notre environnement, il est clair que ce qui les affecte peut aussi avoir un profond impact sur nous.
Selon Al-Shayeb :
Les phages sont également connus pour transférer les gènes des toxines bactériennes et de la résistance aux antibiotiques entre les bactéries, qui contribuent à la maladie.
Comme nous avons des bactéries à la fois nocives et utiles qui vivent sur nous et en nous, il est très utile de comprendre quels types de phages coexistent avec eux chez les humains et les animaux et comment ils affectent ces environnements.
L’étude publiée dans Nature : Clades of huge phages from across Earth’s ecosystems et présentée sur le site de l’université de Californie à Berkeley : Huge bacteria-eating viruses narrow gap between life and non-life.