Génétique d’un ancien massacre aveugle à grande échelle
Malheureusement, il semble que les humains s’entretuent depuis des temps immémoriaux. En général, lorsque les archéologues trouvent des traces de meurtre, il y a une raison et un scénario. Mais sur le site de Potočani, dans l’actuelle Croatie, des personnes ont été massacrées sans discernement il y a 6 200 ans, sans que l’on sache vraiment pourquoi.
Image d’entête : le charnier de Potočani, les couches supérieures de la fosse révélant de nombreux squelettes entremêlés. (Novak et col./ PLOS ONE)
Le site de la fosse mortuaire de Potočani a été découvert purement par hasard en 2007. L’un des habitants du village construisait un garage et la découverte a été le résultat d’une érosion causée par de fortes pluies sur le site de construction. Les fouilles archéologiques qui ont suivi, dirigées par Jacqueline Balen du Musée archéologique de Zagreb, ont mis au jour une fosse grossièrement circulaire d’environ 2 mètres de diamètre et d’environ 1 m de profondeur, partiellement détruite sur un côté, contenant de nombreux restes humains mélangés.
(Novak et col./ PLOS ONE)
Au début, les archéologues ont pensé qu’il s’agissait de restes récents, datant de la Seconde Guerre mondiale ou de la guerre d’indépendance croate des années 90. Mais il n’y avait aucun matériel moderne dans la fosse, juste quelques fragments de poterie. Plus les chercheurs examinaient le site, plus il semblait qu’il ne s’agissait pas du tout de personnes contemporaines. Il n’y avait pas d’obturations dentaires (un signe de production récente) ni de restes modernes.
La datation au radiocarbone de trois fragments d’os humains provenant de la fosse suggère une inhumation remontant à 6 200 ans, et elle indique également que les personnes ont été enterrées en même temps et non sur une plus longue période. Tout indiquait la même chose : ces personnes ont été massacrées il y a des milliers d’années.
Les fragments de poterie et la datation au radiocarbone relient cet enterrement à la culture dite Lasinja. On ne sait pas grand-chose d’eux, explique l’auteur de l’étude, Mario Novak, de l’Institut de recherche anthropologique de Zagreb (Croatie). Ils sont arrivés au milieu de l’âge du cuivre (Chalcolithique) et se sont répandus dans les pays voisins, l’Autriche, la Hongrie et la Slovénie.
Selon Novak :
Il n’y a que quelques sépultures connues associées à cette culture. Nous savons, grâce à des restes matériels provenant pour la plupart de leurs campements, qu’ils ont été l’un des premiers peuples de cette partie de l’Europe à commencer à utiliser le métal (cuivre) et que le bétail jouait un rôle très important dans leur vie quotidienne. Il est possible que ces gens aient été semi-nomades et qu’ils aient suivi leurs cheptels.
Jusqu’à présent, il y a des dizaines de sites Lasinja connus en Croatie, mais seuls quelques-uns ont été fouillés et étudiés en profondeur.
Novak et ses collègues ont pu récupérer les données génomiques des os de 38 des 41 individus trouvés dans le charnier, et ils ont publié les résultats dans une nouvelle étude. Les individus étaient des deux sexes (21 hommes et 20 femmes) et appartenaient à différents groupes d’âge. Moins de la moitié d’entre eux étaient des adultes, et 11 étaient des enfants de moins de 10 ans.
Certains individus avaient un lien de parenté (un homme plus jeune, ses deux jeunes filles et son neveu ont tous été retrouvés dans la fosse), mais 70 % d’entre eux n’avaient aucun lien de parenté. Les victimes semblent avoir des ancêtres similaires et semblent être dans la région depuis un certain temps, il ne s’agit donc pas de l’arrivée d’une nouvelle population qui aurait été décimée. Dans l’ensemble, cependant, aucun lien clair ne semble exister entre les victimes : il s’agit plutôt d’un massacre aveugle à grande échelle.
A partir de l’étude : photos présentant des blessures pénétrantes perimortem (Aux alentours de la période de la mort) de certains crânes du massacre collectif de Potočani, en Croatie. (Mario Novak/ Institut de recherche anthropologique/ PLOS ONE)
Les preuves disponibles sont rares. On ne sait pas qui a fait cela ni pourquoi. Les chercheurs soupçonnent une lutte pour des ressources motivée par un changement climatique, mais il pourrait s’agir d’un conflit entre groupes internes et externes (comme le ciblage de familles spécifiques ou de migrants récents), voire d’un rituel religieux.
Pour Novak :
Habituellement, les luttes pour les ressources associées aux changements climatiques et à l’augmentation de la population sont proposées comme l’une des causes possibles. À Potočani, cela pourrait être lié aux ressources, peut-être même au bétail car c’était l’une de leurs ressources les plus importantes.
Ce n’est pas le premier ancien site de cette nature, ajoute Novak. De nombreux sites de ce type ont été découverts en Europe centrale (Allemagne, Autriche), associés à la culture dite Linearbandkeramik ou culture à céramique linéaire, il y a environ 7 000 ans. Dans ces cas, la violence était dirigée contre les membres d’une certaine communauté. Dans ce cas particulier, ce n’est pas une communauté entière qui a été anéantie, mais une petite partie d’une population plus importante qui pouvait se compter par centaines.
Dans le cas de Potočani, les chercheurs ne savent pas qui pourrait être l’auteur de l’attaque, mais dans certains autres cas en Europe, les agresseurs étaient des populations locales qui attaquaient des personnes immigrées depuis peu. Malheureusement, pour la plupart des cas de massacres préhistoriques, nous n’aurons probablement jamais de réponse claire à cette question.
La guerre et les massacres sont habituellement liés aux villes, aux pays et aux civilisations, mais les résultats montrent que les massacres aveugles à grande échelle ne sont pas limités à l’époque moderne ou historique, ni même aux civilisations établies.
Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour déterminer la fréquence et la raison de ce type de violence. En fin de compte, cet obscur moment pourrait nous aider à comprendre « pourquoi de tels épisodes violents se produisaient dans l’Antiquité, mais se produisent malheureusement encore aujourd’hui », conclut Novak.
L’étude publiée dans PLoS ONE : Genome-wide analysis of nearly all the victims of a 6200 year old massacre et présentée sur le site de l’Université du Wyoming : UW Faculty Members Contribute to Study of Victims of 6,200-Year-Old Massacre.