Le Blob ou comment prendre des décisions quand on n’a pas de cerveau
Une équipe de biologistes américains a montré que même une moisissure visqueuse sans cerveau, Physarum polycephalum, peut déterminer le lieu de son prochain développement à partir d’indices mécaniques.
Selon Nirosha Murugan, premier auteur d’une étude décrivant la recherche :
Les gens s’intéressent de plus en plus au Physarum parce qu’il n’a pas de cerveau, mais il peut quand même réaliser un grand nombre de comportements que nous associons à la pensée, comme résoudre des labyrinthes, apprendre de nouvelles choses et prédire des événements. Comprendre comment la vie proto-intelligente parvient à effectuer ce type de calcul nous permet de mieux comprendre les fondements de la cognition et du comportement des animaux, y compris les nôtres.
Les moisissures visqueuses ou myxomycètes sont des organismes unicellulaires qui peuvent fonctionner collectivement. Le Physarym, aussi surnommé “le Blob” est constitué d’une structure appelée syncytium : une membrane unique contenant de nombreux noyaux cellulaires, tous flottants dans le même cytoplasme. Cet organisme bizarre peut atteindre un mètre de long et préfère les feuilles et les arbres en décomposition dans son environnement naturel.
Les chercheurs ont placé des Physarum au milieu de boîtes de Petri, remplies de gel d’agar. Ils ont placé un nombre différent de disques de verre sur les bords des boîtes, soit les uns à côté des autres, soit empilés les uns sur les autres, en pensant que la moisissure serait attirée par les objets les plus lourds du gel.
Photo de myxomycètes ou moisissure visqueuse Physarum polycephalum, se développant dans une boîte de Pétri. (Nirosha Murugan/ laboratoire Levin/ Université Tufts et Institut Wyss de l’Université Harvard)
Leur théorie s’est avérée exacte : les moisissures ont d’abord poussé selon un schéma régulier, puis ont étendu leurs branches vers le verre lourd. Il est intéressant de noter que la moisissure s’est déplacée vers un disque de verre et trois disques de verre empilés à la même vitesse, bien que les disques empilés soient plus lourds. Il est encore plus intéressant de noter que la moisissure a préféré se développer vers trois disques juxtaposés plutôt que vers un seul disque.
Comme pour le GIF en entête, cette série de photos en accéléré montre un spécimen de Physarum se développant dans un modèle de « tamponnement » généralisé pendant ~13 heures, puis étendant une longue pousse vers le côté de la noite de Pétri avec trois disques. (Nirosha Murugan, laboratoire Levin/ Université Tufts et Institut Wyss de l’Université Harvard)
Pour les chercheurs, cela indique que la moisissure « calculait » l’endroit où elle allait se déplacer, et qu’elle utilisait autre chose que le poids pour prendre ses décisions. La modélisation informatique a démontré que les différents disques exerçaient des contraintes mécaniques différentes sur le gel, et donc sur la moisissure.
Selon le Dr Richard Novak, ingénieur principal à l’université de Harvard (États-Unis) et coauteur de l’étude :
Imaginez que vous conduisez sur l’autoroute la nuit et que vous cherchez une ville où vous arrêter. Vous voyez deux dispositions différentes de la lumière à l’horizon : un point lumineux unique et un groupe de points moins lumineux. Alors que le point unique est plus lumineux, le groupe de points éclaire une zone plus large qui est plus susceptible d’indiquer une ville, et vous vous y rendez donc.
Les motifs lumineux dans cet exemple sont similaires aux motifs de tension mécanique produits par les différentes dispositions de la masse dans notre modèle. Nos expériences ont confirmé que Physarum peut les détecter physiquement et prendre des décisions en fonction des motifs plutôt que de la simple intensité du signal.
Les chercheurs se sont ensuite mis à la recherche des protéines présentes dans le Blob qui lui permettaient d’effectuer ces calculs. Ils ont repéré une protéine similaire à celles qui aident à détecter le moment où les cellules s’étirent pour prendre différentes formes, la principale forme de mouvement de la moisissure, chez d’autres organismes. Lorsque cette protéine était neutralisée par un produit pharmaceutique, la moisissure ne pouvait plus déterminer les zones plus lourdes ou plus légères, car rien n’indiquait qu’elle s’étirait et changeait de forme.
Pour Mike Levin, chercheur à Harvard et à l’université Tufts (États-Unis) et coauteur de cette étude :
Notre découverte de l’utilisation de la biomécanique par cette moisissure pour sonder son environnement et y réagir souligne la précocité de l’évolution de cette capacité chez les organismes vivants et l’étroite relation entre l’intelligence, le comportement et la morphogenèse.
Et selon Murugan :
Avec la plupart des animaux, nous ne pouvons pas voir ce qui change à l’intérieur du cerveau lorsque l’animal prend des décisions. Physarum offre une opportunité scientifique vraiment passionnante parce que nous pouvons observer ses décisions sur ses déplacements en temps réel en observant comment son comportement [intercellulaire] change.
L’étude publiée dans la revue Advanced Materials : Mechanosensation Mediates Long-Range Spatial Decision-Making in an Aneural Organism et présentée sur le site du Wyss Institute : Thinking without a brain.
« quand on a pas de cerveau »
ou est la négation ?
Et oui ! Où est-elle? rectifiée !