Séduire ou voler : un étonnant fossile révèle un oiseau vieux de 120 millions d’années doté d’une queue pas très pratique
Voici le Yuanchuavis, un oiseau éteint qui vivait il y a 120 millions d’années dans ce qui est aujourd’hui la Chine. Selon les scientifiques, ses plumes caudales complexes semblent présenter un mélange de caractéristiques fonctionnelles et décoratives, ce qui permet de mieux comprendre l’évolution des anciens oiseaux.
Image d’entête : le fossile du Yuanchuavis avec une illustration correspondante des plumes de la queue. (Wang et col./ Current Biology)
Cette étude, publiée la semaine dernière (lien plus bas) décrit l’espèce Yuanchuavis, un oiseau du début du Crétacé doté d’une paire de plumes caudales (de queue) plus longues que son corps. Le coauteur de l’étude, Jingmai O’Connor, du Field Museum de Chicago (Etats-unis), explique que ces plumes n’étaient pas très aérodynamiques et qu’elles avaient probablement une fonction ornementale pour attirer des partenaires.
Mais cet oiseau était également équipé d’un faisceau de plumes caudales plus courtes qui lui permettaient probablement de voler. Pour le Yuanchuavis, il s’agit d’un cas de sélection sexuelle en tension avec la sélection naturelle, une combinaison de pressions (évolutives) qui a donné naissance à une créature très particulière. Le paléontologue Wang Min, de l’Académie chinoise des sciences, est le premier auteur de cette étude.
Le fossile a été extrait des Jehol Lagerstatten, une série de gisements situés dans le nord-est de la Chine connus pour leurs fossiles remarquablement bien conservés qui comprennent parfois des traces de tissus mous comme des plumes. Cette excellente conservation est le résultat d’un ensevelissement rapide dans d’anciens lacs. Les sédiments d’où a été extrait ce spécimen remontent à 120 millions d’années, au début du Crétacé, et le nom de l’animal disparu vient de Yuanchu, un oiseau de la mythologie chinoise.
Cette créature était relativement petite, de la taille d’un geai bleu. Son squelette présente une combinaison de caractéristiques primitives et nouvellement dérivées, ce qui témoigne de la complexité de l’évolution des premiers oiseaux et de l’évolution de l’oiseau moderne, selon les chercheurs.
Une illustration montrant ce à quoi le Yuanchuavis kompsosoura aurait pu ressembler. (Haozhen Zhang)
Les deux longues plumes de la queue, qui représentent 150 % de la longueur totale du corps, sont le trait physique le plus distinctif du Yuanchuavis. Il est toutefois important de noter que l’oiseau possédait également une “queue de pie” (ou pilet), c’est-à-dire la combinaison de ses deux longues caractéristiques et de son court éventail caudal. On trouve ces queues chez des oiseaux modernes tels que les nectariniidés et les quetzals, mais il s’agit du premier exemple connu de queue de pie chez les Enantiornithes, un groupe d’oiseaux très répandu au Mésozoïque.
Selon O’Connor :
La queue en éventail est une forme de queue qui est façonnée par la sélection naturelle et sexuelle, et elle sert les deux objectifs : augmenter les chances de survie et de reproduction. L’éventail caudal fournit une portance qui aide au vol, tandis que les deux plumes caudales allongées sont des ornements qui peuvent être utilisés pour attirer les partenaires.
En tant que phénomène de l’évolution, la sélection sexuelle est très intéressante car elle joue souvent en défaveur d’une espèce lorsqu’il s’agit d’une fonction optimale. Les oiseaux y sont particulièrement enclins, développant des plumes, des ornements, des vocalisations et des danses élaborés. Le problème, c’est que la demande d’un look accrocheur et sexy conduit souvent à l’apparition de caractéristiques superflues, gourmandes en ressources, voire nuisibles. Mais c’est là tout l’intérêt de ces caractéristiques masculines, car elles transmettent un message clair aux femelles curieuses : “je suis robuste, en forme, et celui qui peut vous aider à transmettre vos gènes. » C’est pourquoi les biologistes de l’évolution qualifient ces manifestations sexuelles de « signaux clairs ».
Toujours selon O’Connor :
Les plumes de la queue sont très longues, et les longues queues sont presque toujours ornementales. Plus la plume est longue ou grosse, plus il faut d’énergie pour la faire pousser, ce qui implique donc un investissement énergétique initial. Ensuite, les plumes créent une traînée, ce qui rend le vol plus difficile, et il faut donc plus d’énergie pour se déplacer. Cela a coûté cher à l’oiseau d’avoir les deux longues plumes et elles n’étaient pas quelque chose qui augmentait ses chances de survie. « Cela signifie que ce doit être un ornement. Il est difficile de dire dans quelle mesure cet ornement fut un obstacle. Son coût a peut-être été quelque peu compensé par l’éventail de queue.
Si les membres mâles de Yuanchuavis étaient capables de voler, ils volaient très mal.
La nouvelle étude s’inscrit dans le cadre de l’idée émergente selon laquelle les plumes des dinosaures, y compris des oiseaux, « sont hautement adaptatives », et elle contribue à expliquer la diversité « déconcertante » des oiseaux au cours de l’histoire de l’évolution.
D’autres hypothèses raisonnables concernant le Yuanchuavis sont que, en tant qu’oiseau qui ne volait pas très bien, il vivait probablement dans une forêt dense et riche en ressources, et que les mâles, encombrés de leur longue queue, ne participaient probablement pas à l’élevage des jeunes.
De plus, comme l’Enantiornithes n’a pas survécu à l’extinction du Chicxulub qui a éliminé tous les dinosaures non aviaires, la découverte du Yuanchuavis pourrait contribuer à expliquer pourquoi seuls quelques oiseaux ont survécu.
L’étude publiée dans Current Biology : An Early Cretaceous enantiornithine bird with a pintail et présentée sur le site du Field Museum : Fossil bird with fancy tail feathers shows that sometimes, it’s survival of the sexiest.